Si le deuxième gouvernement Valls ne s'en prenait qu'aux seuils sociaux et à la Loi Duflot... Mais il faut bien constater, regrette Laurence Blisson, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, qu'il n'existe depuis 2012 « pas plus de place pour la défense des droits et libertés que pour une politique économique progressiste ».
Il aura fallu moins d’une semaine pour que le triptyque culpabilisation des précaires, glorification du patronat et satisfaction des possédants vienne définitivement sceller le sort de la gauche de gouvernement. Et pour entendre dans la cour de l’Elysée la fameuse antienne thatchérienne « il n’y a pas d’alternative » de la bouche de Christian Eckert, secrétaire d’Etat chargé du Budget.
De quoi réduire au silence toute contestation de la rigueur budgétaire, toute dénonciation des errements d’une gauche qui, déjà sortie à Villepinte d’un prétendu état de « naïveté » pour embrasser les préceptes sécuritaires et devenir intraitable avec les « indésirables », finit de faire sienne l’orthodoxie néolibérale en adoptant le discours de la « réforme ».
Car voilà que le gouvernement veut, au nom de l’éternel « combat pour l’emploi », signer la fin des 35 heures, démanteler les droits historiques des travailleurs, au premier chef les « seuils sociaux » responsables de tous les maux, et même accroître encore le contrôle des chômeurs, ces victimes de la crise qu’il est si aisé de soupçonner de fraude.
Mais il ne faut pas se leurrer, ce remaniement, si explosif et si éco-centré qu’il paraisse dans le débat politico-médiatique, ne constitue ni un virage radical ni une clarification purement économique : le rappel de la ligne est général. Le chef de l’Etat resserre les rangs pour mieux poursuivre la politique menée depuis maintenant plus de deux ans, qui, malgré les attentes des citoyens pour la justice, les droits et libertés, n’a pas rompu avec dix années de nuit sécuritaire et de déprédation sociale.
Car tout a commencé par le vote, dès 2012, d’une loi anti-terroriste qui a marqué le premier renoncement à la défense des libertés publiques. Et l’adoption au début de l’année 2013 d’une loi de sécurisation de l’emploi qui, accréditant la théorie éculée qui fait des droits des salariés des freins à la sacro-sainte compétitivité, a ouvert la voie au démantèlement du droit du travail par la marginalisation du juge prud’homal, figure honnie du patronat.
Déjà dans ces premiers mois de l’alternance, tandis qu’on apaisait les électeurs en mettant en scène des ambassadeurs de la gauche qui promettaient un avenir plus radieux pour les libertés en organisant à grand renfort de communication des assises de la pénalisation et de la justice, la nouvelle gauche décomplexée portait haut et fort la politique de rejet des indésirables. Stigmatisation des roms, poursuite des évacuations de bidonvilles, accélération des reconduites à la frontière des étrangers désormais jugés dans des tribunaux d’exception sur les pistes d’aéroport, capitulation face aux syndicats policiers dans la lutte contre les contrôles au faciès, autant de reniements que ce nouveau remaniement entérine !
Car, il n’y a en réalité depuis 2012 pas plus de place pour la défense des droits et libertés que pour une politique économique progressiste : par frilosité pour certains, par véritable conversion idéologique pour d’autres, les grands principes ont été évacués. Les quelques avancées arrachées à la nouvelle orthodoxie peinent à cacher le véritable sens des politiques menées.
La suppression de la taxe de 35 euros pour agir en justice n’éclipse ni l’indigence du budget de l’aide juridictionnelle, ni la stagnation des minimas sociaux, ni les conséquences de la politique d’austérité qui « libère » les forces patronales pour mieux démanteler le service public et enfermer toujours plus de citoyens dans la précarité. Et on parle déjà, sous la pression des lobbys de l’immobilier et au mépris des mal-logés et autres locataires précaires, de revenir sur la loi Duflot avant même que n’aient été publiés les décrets d’application qui devaient enfin commencer à enrayer la hausse hystérique des loyers et protéger les locataires des abus des « investisseurs » de l’immobilier. Au nom de la « crise », la gauche bafoue la délibération démocratique et piétine le droit au logement, ce droit fondamental qui est au socle de la solidarité nationale, de l’égalité et de la lutte contre la précarité.
Et l’interdiction des instructions de la Garde des Sceaux dans les affaires individuelles n’élude ni l’absence de réforme du statut du parquet, encore dépendant de l’exécutif, ni le maintien d’un conseil supérieur de la magistrature faible, amputé des pouvoirs qui feraient de lui un véritable gardien de l’indépendance d’une justice rénovée.
L’abrogation des peines planchers et les trop rares avancées de la réforme pénale ne font pas oublier que la rétention de sûreté, les tribunaux correctionnels pour mineurs et tant d’autres dispositifs sécuritaires et de surveillance sont toujours en vigueur, que la prison est toujours au cœur de notre système pénal, que l’obsession de la fermeté à l’égard de la délinquance des plus faibles rythme toujours le quotidien judiciaire tandis que la délinquance économique et financière prospère.
Faire place nette, voilà bien l’objet de ce remaniement. Frapper fort pour ouvrir une nouvelle séquence politique sur l’ovation d’un syndicat patronal à l’infléchissement néolibéral, qui ne manquera pas d’être suivi, dès septembre, d’un débat parlementaire confisqué par l’alignement de la majorité sur les projets de la droite liberticide pour étendre surveillance des citoyens et contrôle de la liberté d’expression au nom de la lutte anti-terroriste.
La messe est dite, et peu importe qu’il demeure à la marge des figures qui arrondissent les angles, nuancent le discours, car le choix d’une politique oublieuse des droits et libertés et porteuse d’injustice sociale est bien acté.