Merci de votre article (à lire ici) en réponse à ma carte blanche La Gauche après le Brexit (à lire là). Voici mes réponses aux importantes questions et répliques que vous m'avez adressées. Je me permets de les résumer sous les rubriques suivantes :
A. Pourquoi ai-je signé l'accord du 20 février 2015 avec l'Eurogroupe ? N'était-ce pas une violation du principe de désobéissance constructive de DiEM25 ?
Le mandat que nous avions reçu du peuple grec le 25 janvier 2015 était de négocier de bonne foi un accord avec l'Eurogroupe – un accord qui brise le cycle infernal de dette-déflation et nous permette de mettre en œuvre notre programme économique ainsi que nos réformes. Nous n'avions pas pour mandat d'accepter la logique et les paramètres du programme en vigueur de la troïka, ce qu'Alexis Tsipras a fini par faire. Et nous n'avions pas pour mandat d'orchestrer un affrontement prématuré avec l'UE, avant d'avoir épuisé la possibilité [d'obtenir] un accord viable.
Lorsque je suis entré dans mon ministère, le 27 janvier 2015, il ne restait que trente jours pour négocier, avant que la BCE ne coupe les vivres aux banques grecques. Pour rester cohérents avec notre mandat de donner une chance aux négociations, nous nous sommes embarqués dans une double tâche :
1. Prolonger l'accord de prêt de quelques mois – puisque son expiration à la fin février aurait eu pour conséquence le rappel de centaines de milliards d'euros [provenant] de prêts précédents, mettant ainsi fin à toute chance d'accord négocié.
2. Détacher cet accord de prêt du Mémorandum d'Entente (MoU en anglais) – à savoir les terribles conditions adossées à l'accord de prêt, et que nous n'avions pas le mandat, ni le droit d'accepter (par exemple, davantage d'austérité, ventes au rabais de biens publics, disparition de notre souveraineté nationale sur les autorités de taxation, etc.)
Si vous lisez le texte du communiqué de l'Eurogroupe du 20 février, vous verrez qu'il remplit ces deux objectifs : l'accord de prêt a été prolongé jusqu'à la fin juin, nous donnant ainsi quatre mois supplémentaires pour négocier et, surtout, il ne mentionnait pas le MoU précédent. En lieu et place, il spécifiait que le gouvernement grec soumettrait sa propre liste de réformes. C'est à cette 'nouvelle règle du jeu' que Schäuble et les autres ministres des finances se sont farouchement opposés pendant la réunion de l'Eurogroupe du 20 février : pour la première fois depuis que la crise de l'euro avait frappé l'Europe, un pays repris dans le 'programme' (à savoir, en faillite) était invité à proposer son propre programme de réformes, plutôt que d'être forcé d'accepter celui de la troika.
Ce que je veux dire ici, c'est que l'accord de l'Eurogroupe du 20 février était tout à fait cohérent avec la politique de 'désobéissance constructive' de DiEM25, et qu'il était respectueux du mandat donné par les électeurs grecs. La partie 'constructive' était notre volonté de négocier de bonne foi. La partie 'désobéissance' tenait à mon refus net d'accepter le MoU le 20 février, ou à tout autre moment durant les quatre mois qui suivirent.
Dans votre lettre, vous affirmez qu'il était clair dès le début que l'accord du 20 février « conduirait inexorablement à la capitulation du gouvernement ». Il est certes vrai qu'ils ont capitulé à partir d'avril, mais avec cette affirmation, vous donnez à Tsipras et à son cercle rapproché une excuse pour avoir capitulé, qu'ils ne méritent pas : l'excuse selon laquelle, une fois que l'accord du 20 février était signé, leur capitulation était écrite d'avance. Elle ne l'était pas !
Pour résumer : les quatre mois supplémentaires que l'accord de l'Eurogroupe du 20 février nous garantissaient étaient cruciaux pour deux raisons. Primo, en établissant de manière claire au reste du monde, ainsi qu'au peuple grec, que notre camp négociait de manière constructive, et de bonne foi. Secundo, pour préparer la rupture que la troïka était en train d'orchestrer. Le fait que le Premier Ministre n'ait pas utilisé l'opportunité offerte par ces quatre mois supplémentaires, et ne m'ait pas permis d'aller de l'avant avec la partie 'désobéissance' de la stratégie pendant, ou à la fin de cette période, ne peut pas avoir comme excuse l'accord du 20 février, alors que c'est [justement] cet accord qui lui a, nous a, donné cette opportunité.
B. Lorsque nous appelons à un « redéploiement immédiat des institutions existantes », que voulons-nous dire ? Sommes-nous en faveur d'un démantèlement des traités et des institutions actuelles de l'Union Européenne, afin de les remplacer par d'autres ?
Chaque campagne a besoin de stratégies de court terme et d'objectifs de long terme. Par conséquent, pour répondre à votre question, à court terme DiEM25 propose un redéploiement des institutions existantes.
Par exemple, nous exigerons que les 80 milliards d'euros imprimés par la BCE chaque mois soient utilisés uniquement pour acheter les obligations émises par la Banque d'Investissement Européenne (BEI), dans le contexte d'un programme de relance pan-européenne induite par l'investissement – un programme par lequel la BEI investirait jusqu'à 6% du revenu total de la zone euro dans l'énergie durable, la R&D, l'éducation, la santé et l'infrastructure générale, financé par de grandes émissions de ses propres obligations, que la BCE achèterait à chaque fois qu'il s'avérerait nécessaire de conserver le taux d'intérêt auquel emprunte la BEI à un niveau proche de zéro.
Voici un autre exemple d'institution 'redéployée' : le Système Européen des Banques Centrales a un compte, appelé Target2, au sein duquel s'accumulent les intérêts payés par les banques centrales des pays en déficit, proportionnellement à leurs dettes envers les banques centrales des pays en excédent. Ces sommes sont ensuite redistribuées aux ministres des finances des pays en excédent – ces sommes vont donc de la périphérie en souffrance vers le cœur [de l'Europe]. Le conseil de l'UE peut accepter de charger la BCE de placer ces sommes dans un compte spécial, utilisé pour financer un programme de bons alimentaires à destination des familles pauvres de toute l'Europe, plutôt que de les distribuer aux gouvernements allemand, hollandais, autrichien, etc.
Les deux exemples ci-dessus illustrent la signification que nous donnons à un redéploiement des institutions existantes qui peut être réalisé aujourd'hui, sans modifier les Traités. Ces propositions révèlent la cruauté de l'establishment européen 'profond'. Ils révèlent qu'on pourrait apporter beaucoup de bien tout en restant dans les Traités et les 'règles', mais que l'on ne le fait pas parce que l'establishment se soucie de faire le bien comme d'une guigne, sauf si les bénéficiaires sont ceux qui ont déjà tout.
Telles sont les exigences du programme de DiEM pour l'immédiat. Cela ne signifie pas que nous sous-estimons l'importance de la lutte pour de nouveaux Traités, de nouvelles 'règles' et, oui, de nouvelles institutions qui soient progressistes. Mais nous exigeons d'abord que les institutions actuelles soient utilisées au mieux de ce qui est possible (en montrant comment cela peut être fait), et ensuite nous nous lancerons dans la lutte pour un nouveau cadre institutionnel européen – tout comme nous le disons depuis le début dans le Manifeste de DiEM.
C. Pourquoi n'ai-je pas utilisé la Commission pour la Vérité ou le rapport sur la Dette Grecque lors de mes négociations avec la troïka ? Lors de ma déposition devant la Commission, pourquoi me suis-je concentré sur le système bancaire ?
La réponse à la seconde question est simple. En tant que ministre des finances, ce que je pouvais faire de mieux pour servir la Commission était d'expliquer comment la dette publique grecque avait été créée par le système bancaire, comme un produit dérivé du même processus qui a conduit à l'implosion du secteur financier en 2008. C'était la meilleure manière d'illustrer l'illégitimité de l'argument de l'establishment selon lequel la dette publique grecque était causée par l'attitude dépensière du peuple grec – chose pour laquelle Zoé Konstantopoulou, qui était à la tête de la Commission, m'a publiquement remercié.
La réponse à la première question est encore plus simple : avant et pendant l'élection, j'ai déclaré que la dette publique grecque ne pouvait pas être remboursée et que, par conséquent, elle ne le serait pas. Que sa restructuration était inéluctable, indépendamment de son origine, du fait qu'elle soit légitime, ou autre. Que, en tant que ministre des finances, je ne signerais aucun accord avec les créanciers qui ne prévoirait pas de réduction substantielle de la dette. Pourquoi aurais-je dû entrer dans un débat avec les créanciers sur la légitimité ou la légalité de la dette, alors que ma position était qu'elle serait restructurée quoi qu'il en soit ?
Pour le dire autrement, nous recherchions, conformément à notre mandat, une solution négociée viable et honorable. Si elle se dégageait, je la signerais. Sinon, et seulement à ce moment, je répudierais la dette, et j'utiliserais tous les arguments à ma disposition pour ce faire – y compris le rapport de la Commission.
D. Pourquoi n'ai-je pas organisé un processus de faillite ordonnée pour les banques privées ? Et pourquoi maintenir Yannis Stournaras à la tête de la Banque de Grèce ?
Organiser un processus de faillite pour les banques aurait impliqué de les nationaliser. Les nationaliser aurait déclenché la fin des négociations avec la troïka, et aurait donné à la troïka l'opportunité de nous rendre responsables de l'impasse. C'est la même chose en ce qui concerne le gouverneur de la Banque de Grèce, Yannis Stournaras : je n'avais aucun droit légal de le limoger et, pour pouvoir le faire, j'aurais dû changer la Loi d'une manière qui aurait violé les obligations de la Grèce envers la zone euro.
En d'autres termes, si vous voulez me critiquer pour ne pas avoir réalisé le Grexit pendant les premiers mois de mon ministère, je vous en prie, faites-le. Réaliser le Grexit aurait nécessité tout ce que j'ai exposé ci-dessus : nationaliser les banques, changer la loi gouvernant la Banque de Grèce, répudier toute la dette publique et la déclarer odieuse, en utilisant le rapport de la Commission de la Vérité. Mais, comme je l'ai expliqué dès le début, notre gouvernement n'avait pas pour mandat de faire du Grexit notre objectif – nous avions pour mandat de négocier un 'New Deal' pour la Grèce et, si ces négociations échouaient, d'être prêts à tout faire pour assurer la souveraineté démocratique de notre pays, y compris accepter – s'il fallait en arriver là – que la Grèce soit poussée hors de la zone euro.
Il est dont correct et juste que nous n'ayons pas nationalisé les banques dès notre arrivée, que nous n'ayons pas limogé M. Stournaras dès notre arrivée, et que nous ayons signé l'accord du 20 février. Ce qui ne va pas, ce qui est odieux, c'est qu'une fois que la troïka a révélé son manque d'intérêt pour une négociation de bonne foi, Alexis Tsipras et son cercle rapproché ont capitulé.
E. Lorsque Syriza est arrivé au pouvoir en janvier 2015, et que la BCE a refusé de donner des liquidités aux banques grecques, pourquoi le gouvernement, dont vous faisiez partie, n'a-t-il pas conçu et mis en œuvre des alternatives monétaires, qu'il s'agisse d'un retour à une monnaie nationale sous contrôle démocratique, ou d'une monnaie électronique (similaire à ce que fit l'Equateur au début 2015) en complément de l'euro, gérée par les autorités publiques, pour le paiement des biens et services de nécessité, ainsi que pour les impôts ?
Je suis heureux que vous posiez cette question, même si je suis surpris que vous le fassiez. N'avez-vous pas entendu la Nouvelle Démocratie, le PASOK, la Rivière (To Potami, en grec), et même certains ministres de Syriza m'accuser publiquement de 'trahison', pour avoir confié à une autre équipe la mise en œuvre de l'émission d'une liquidité électronique libellée en euros (en utilisant l'interface du site internet de l'administration des impôts, Taxisnet) ? Comme vous l'avez dit, il était de mon devoir de faire cela. Et je l'ai fait, avec pour résultat le harcèlement constant des médias systémiques grecs, qui n'ont eu de cesse de me décrire comme un comploteur, un usurpateur, un ministre des finances voyou, etc, etc.
F. Au-delà du cas spécifique de la Grèce, d'après vous, quelles sont les alternatives monétaires qui peuvent être utilisées contre la stratégie d'asphyxiation monétaire utilisée par la troika lors de chaque tentative de briser la cage de fer de l'austérité dans d'autres pays ?
La même que celle que j'avais en vue pour la Grèce, et à laquelle vous avez fait allusion plus haut : une liquidité électronique libellée en euros, la digitalisaiton de tous les paiements et un plan, si nécessaire, pour convertir les deux en une nouvelle monnaie que la BCE ne peut contrôler. Attendez-vous à en lire beaucoup plus sur ce sujet dans le Livre Blanc du New Deal Européen de DiEM25 que nous présenterons à Paris durant la dernière semaine de février 2017.
G. Vous demandez : le Programme Progessiste pour l'Europe de DiEM25 et la « confrontation frontale avec l'establishment européen » que DiEM embrasse incluent-ils la restructuration de la dette, la remise en cause des Traités européens, la préparation de la désintégration de la zone euro, et la recréation des institutions (européennes, nationales, et locales), d'une manière qui soit cohérente avec les besoins d'une démocratie authentique ?
La réponse est tout simplement : oui, à toutes ces questions. Mais rappelez-vous du message simple de DiEM25 : pour mener à bien ce Programme Progressiste pour l'Europe, nous n'avons pas besoin (et nous ne devons pas) faire de la désintégration de la zone euro notre objectif. Ce qu'il nous faut faire, et ce que nous devons faire, c'est de concevoir une architecture pour la construction européenne. Nous devons aussi être prêts à la désintégration de la zone euro – et même à la désintégration de l'UE – que l'establishment causera en combattant la mise en œuvre de notre Programme Progressiste pour l'Europe, qui est rationnel, raisonnable et humain.
Traduit de l'anglais par Ariane Kovacevic