Clive Hamilton, philosophe et économiste australien, est professeur d'éthique publique à l'université Charles Sturt à Canberra, auteur des Apprentis sorciers du climat, sur la géo-ingénierie, et de Requiem pour l’espèces humaine. A trois semaines de l'ouverture de la COP 21, il pose deux questions majeures : « quelle sera l’ampleur du budget global du carbone ? » et « quelle est la part du budget total de carbone allouée à chaque nation ? »
Tous les chefs d’Etat qui se rendent à la Conférence de Paris, la Cop 21, fin novembre, sont officiellement tenus, en vertu de la convention juridiquement contraignante de la conférence, d’agir pour empêcher un changement climatique dangereux. En pratique, cet engagement se traduit par l'objectif de maintenir le réchauffement climatique à moins de 2 ° C au-dessus du niveau préindustriel.
Mais comment limiter le réchauffement à 2 ° C ?
Au cours des dernières années, réfléchir à cette question a conduit à une « approche budgétaire » visant à la réduction des émissions mondiales. Parce que le réchauffement est associé à une augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, cette approche impose une limite sur le volume de gaz à effet de serre qui peut être émis au cours des prochaines décennies.
Lorsque les émissions futures sont ajoutées aux émissions passées, ce budget total est censé prédire, avec un bon degré de certitude, comment la planète va se réchauffer. L'avantage de cette approche budgétaire est qu'elle fait très clairement apparaître que le niveau de réduction pour lequel une nation s’engage au cours de la prochaine décennie ne peut pas être dissocié de ce qu'il doit faire ultérieurement.
Bien que ne figurant pas sur l’agenda officiel, les négociations de Paris seront dominées par deux questions monumentales. La première est : quelle sera l’ampleur du budget global du carbone ?
Pour se donner deux chances sur trois de maintenir le réchauffement mondial en dessous de 2 ° C, les émissions mondiales doivent être maintenues en dessous de 1.700 milliards de tonnes équivalents CO2 sur la période 2000-2050. Depuis l'an 2000, le monde a dilapidé ce budget à un rythme effarant, et chaque année passée à poursuivre les émissions à ce rythme augmente la probabilité que la limite des 2 ° C soit abandonnée.
Jusqu'à présent, chaque nation s’en tient à la position que le réchauffement doit être limité à 2° C. Pourtant, ce n’est peut-être qu’une question de temps avant que l'un des principaux pays ne capitule et n’annonce que cette limite est trop difficile à respecter, façon de dire que son gouvernement n’est pas disposé à en supporter les coûts économiques et politiques.
Une telle capitulation serait catastrophique, car cela détruirait soudainement le consensus mondial et, inévitablement, nous verrions d'autres nations accepter un réchauffement de, disons, 3° C. Toutes les études scientifiques nous disent pourtant qu’un réchauffement de cette ampleur signifierait "Game Over" pour la Terre telle que nous la connaissons.
Allouer le budget
La deuxième question monumentale est : Quelle est la part du budget total de carbone allouée à chaque nation ? En d'autres termes, si les pays réunis à la Conférence de Paris s’engagent à respecter l'objectif des 2° C, comment le budget global des émissions sera-t-il réparti entre eux ?
Le principe d'équité le plus défendable est connu sous le terme d’« approche modifiée de contraction et de convergence ». Selon ce principe, les émissions mondiales diminueraient rapidement à un niveau de sécurité d'ici à 2050 à mesure que les émissions de chaque pays convergeraient vers la même quantité par personne. Les pays les plus pauvres seraient autorisés à augmenter leurs émissions au cours des années initiales afin de ne pas entraver leur développement économique, ce qui signifie que les pays riches devront réduire leurs émissions plus fortement.
Ce principe d'équité alloue une part équitable du budget des émissions mondiales à chaque nation, qui peut alors le dépenser à sa guise. Par exemple, selon ce principe, l’Australie aurait besoin de réduire ses émissions d'environ 50% d’ici 2030. En fait, le Premier ministre australien arrivera à la Conférence de Paris en promettant de réduire ses émissions de 26 % seulement.
Quand une nation riche comme l'Australie dépasse sa juste part des émissions mondiales, cela revient à demander au reste du monde, y compris les pays pauvres, de prendre en charge une partie de son fardeau, ou alors cela revient à abandonner l’engagement des 2 °C et à accepter pleinement les conséquences calamiteuses qui s’ensuivront.
C’est ce que l'Australie fait aujourd’hui, rejointe dans ce calcul brutal par le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud et la Russie. Les Etats-Unis, la Chine et l'Union européenne participent aussi à cette tromperie.
Voilà donc le subterfuge, le mensonge secret, au cœur des négociations de Paris. Toutes les nations se sont formellement engagé à limiter le réchauffement à 2° C; pourtant leur engagement de réduction des émissions est loin, et même fort loin, de ce qui est nécessaire.
Chaque leader se tiendra à la tribune de la conférence et déclarera, avec des trémolos dans la voix et des larmes aux yeux, que nous devons protéger la planète pour nos enfants et nos petits-enfants.
Néanmoins, dans les salles de réunion à huis-clos du Bourget, où ils frapperont sur les tables et où les accords seront négociés, ils insisteront cyniquement sur la protection des «intérêts nationaux» de leur pays, en refusant de faire correspondre leurs actions avec leurs belles paroles.
Peut-être assisterons-nous à un miracle à Paris – et pas à un simple miracle de promesses. Mais en l'absence d'une intervention divine, nous sommes surtout susceptibles de voir les délégués rentrer chez eux en souriant d'un air suffisant, alors qu’ils auront condamné le monde à mille ans de malheur.
Traduction : Christophe Gueugneau et Thomas Cantaloube