« Dans les régions du Sahel en situation d’urgence alimentaire, les familles en manque de nourriture ont perdu progressivement tous leurs biens et ne pourront pas attendre des semaines que le monde porte sur elles son regard et son soutien. » Par Benoit Miribel, président d'Action contre la faim (ACF).
Comment se fait-il que 15 millions de personnes soient encore en insécurité alimentaire au Sahel? Pourquoi cette grande région d’Afrique subsaharienne est-elle encore le lieu d’un tel drame, au point que 3 millions d’enfants soient menacés de malnutrition aiguë?
Après deux années de sécheresse, les petits exploitants agricoles perdent leur cheptel et se retrouvent dépossédés peu à peu de leurs moyens de production, vendus afin d’avoir de quoi acheter un peu de nourriture pour leur famille. Dans le nord Mali, de vastes régions sont désormais coupées de l’assistance humanitaire internationale. Dans les régions du Sahel en situation d’urgence alimentaire, les familles en manque de nourriture ont perdu progressivement tous leurs biens et ne pourront pas attendre des semaines que le monde porte sur elles son regard et son soutien.
Absence de système de protection sociale, faiblesse du système de santé, pauvreté endémique dans de nombreuses régions du Sahel, mécanismes de solidarité régionale défaillants, mauvaise gestion des terres agricoles, aléas liés aux jeux mercantiles de certains spéculateurs prédateurs, etc., sont à l’origine des tensions alimentaires récurrentes dans cette région. Les organisations humanitaires et de développement s’activent sur le terrain mais elles ont besoin d’un engagement politique de la communauté internationale pour prendre des mesures indispensables en termes de moyens à mobiliser.
Que pouvons-nous faire dans l’immédiat?
Prioritairement, il faut mobiliser des moyens financiers additionnels pour répondre aux besoins nutritionnels qui croissent de jour en jour. Les pays du G20, réunis il y a six mois à Cannes, ont renouvelé leur engagement de 2009 (1) à hauteur de 22 milliards de dollars pour garantir une sécurité alimentaire mondiale, mais jusqu’ici seulement, 30 % de cette somme ont été véritablement engagés. La crise économique et financière internationale est certainement un frein majeur au décaissement des moyens promis, mais comment ne pas être interpellé quand on pense aux efforts qui, par ailleurs, furent déployés pour sauver les banques!
Les équipes d’Action contre la faim (ACF), de SOS Sahel ainsi que de nombreuses autres ONG sont mobilisées sur le Sahel, mais les fonds restent à ce jour insuffisants malgré la multiplication des appels aux dons. Il faut que la communauté internationale décide de créer un fonds spécial pour le Sahel car la situation semble encore plus critique qu’en 2005. L’Union européenne doit considérer la situation au Sahel comme une véritable catastrophe naturelle pour débloquer des lignes budgétaires spécifiques à la hauteur des besoins.
Afin d’éviter que les populations, ayant consommé leur stocks de semences et leurs ressources, ne se retrouvent à nouveau les mains vides lors des prochaines récoltes, il est indispensable de relancer aujourd’hui la production agricole localement au niveau des petites exploitations et des familles. Il devient nécessaire d’activer des fonds d’urgence associés à des programmes de résilience des ménages pour limiter les facteurs potentiels de dépendance alimentaire.
A titre d’exemple, ACF s’est associée à l’association de développement SOS Sahel afin de prendre en compte la réponse nutritionnelle d’urgence pour les enfants malnutris tout en renforçant simultanément les capacités agricoles locales. Pendant qu’ACF soigne les enfants malnutris et aide les mères à mettre en place des jardins potagers, SOS Sahel accélère les programmes de formation destinés aux petits exploitants agricoles dans le respect des traditions et de la biodiversité.
Comment prendre au sérieux les responsables politiques qui affichent comme priorité internationale «la santé de la mère et de l’enfant» (2) si des mesures significatives ne sont pas déclenchées rapidement pour secourir des centaines de milliers d’entre eux aujourd’hui en situation de grande vulnérabilité? Au-delà de l’indispensable mobilisation de fonds d’urgence pour le Sahel, nous devons promouvoir une approche transversale de la nutrition, la santé et l’agriculture, orientée conjointement vers des politiques capables de réduire efficacement la pauvreté et favoriser le développement humain dans le respect de notre environnement.
Il est capital de renforcer la résistance des familles aux crises climatiques pour contribuer à lutter durablement contre l’extrême pauvreté rurale au Sahel et casser le cycle d’une dépendance accrue à l’assistance internationale. La construction d’une véritable sécurité alimentaire mondiale, base indispensable de tout développement individuel et collectif, passe par le Sahel.
(1) Sommet du G8 de l’Aquila en Italie - 2009
(2) Sommet du G8 à Mukoska au Canada en 2010