Bruno Liebhaberg et Ernst Stetter, respectivement président du conseil scientifique et secrétaire général de la Fondation européenne d’études progressistes, défendent l'idée que la social-démocratie doit « oser l'Europe »: « repenser la puissance publique, réinventer les modes de régulation mis en place depuis 1945 et continuer, sur les traces de Willy Brandt, d’Helmut Schmidt et de François Mitterrand » en inventant un fédéralisme « original ».
Le SPD a célébré en grande pompe, à Leipzig, le 22 mai dernier, son 150e anniversaire. Trois jours plus tard et trente ans après le tournant européen de François Mitterrand, Pierre Moscovici, Martin Schulz et d’autres responsables politiques allemands, belges, français et italiens ont débattu dans les locaux de la Bibliothèque nationale de France.
A la veille de la convention Europe du Parti socialiste, mi-juin, ces événements récents à Leipzig et Paris montrent que le dialogue est permanent entre l’Allemagne et la France.
Le discours de Leipzig de François Hollande a été prononcé dans un contexte où la social-démocratie a les yeux tournés vers l’Allemagne et attend, d’une coalition alternative à l’alliance des chrétiens-démocrates et des libéraux, une inflexion du fédéralisme budgétaire européen vers une direction plus keynésienne et plus sociale. Dans son intervention, le président de la République française a salué la capacité exemplaire du SPD depuis le congrès de Bad Godesberg, en 1959, à se rénover pour affronter les transformations du capitalisme. Si la social-démocratie veut retrouver la confiance des électeurs et mettre sa capacité gouvernementale au service des mondes du travail, elle n’a pas le droit de céder à la facilité d’incantations idéologiques. Elle doit repenser la puissance publique, réinventer les modes de régulation mis en place depuis 1945 et continuer, sur les traces de Willy Brandt, d’Helmut Schmidt et de François Mitterrand, à oser l’Europe.
A Paris, la problématique de l’intégration politique et économique dans la zone euro a été au cœur des analyses introduites par la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes avec en préalable la question de la solidarité : les contraintes peuvent être positives, mais seulement si elles s’accompagnent de solidarité (création d’emplois, croissance équitable, inclusion sociale, et investissements européens et nationaux dans l’innovation et les infrastructures). La compétitivité dépend aussi de cela, pas seulement du niveau des salaires et de la flexibilité du marché du travail !
Equilibre budgétaire national, autonomie de la BCE, prohibition de l’inflation… les mesures prônées par les conservateurs sont aux antipodes du « compromis social-démocrate » entre les bénéficiaires des revenus du travail et du capital. Parce qu’ils se voilent la face, les conservateurs prennent le risque d’abandonner l’Europe à leurs franges les plus sceptiques pour ne pas dire anti-européennes, tout en feignant d’ignorer que la crise actuelle, qui rigidifie l’Union, est avant tout politique. A l’inverse, parce qu’ils croient en l’Europe, les sociaux-démocrates suggèrent à l’instar du gouvernement français une gouvernance économique et politique plus poussée.
On ne peut en effet comprendre comment l’Europe ait pu être si durement frappée par la crise financière déclenchée aux Etats-Unis – au point de devenir la partie du monde qui en sort avec le plus de difficulté (chômage de masse et paupérisation du salariat) – si on ne considère pas la faiblesse politique de la construction même de l’euro.
L’intégration monétaire est un pari. A l’initiative de Jacques Delors, la gauche a osé tenter ce pari pour fonder l’union politique nécessaire au continent. C’était un choix risqué dès lors que l’UEM née à Maastricht ne relevait pas d’une application pure et simple des enseignements de la théorie monétaire, mais plutôt d’une gestion des rapports de force et d’une harmonisation de visions politiques nationales.
Aujourd’hui, il n’existe pas d’alternative réaliste pour l’Europe. La gauche, et en particulier celle qui gouverne, doit dès lors assumer la continuité de son engagement européen et démonter les discours populistes en faveur d’une sortie de l’Euro. C’est sa responsabilité historique. Elle doit convaincre les opinions publiques nationales : la crise actuelle n’est pas révélatrice des dangers d’une monnaie unique, mais seulement, selon l’expression de l’économiste Daniel Cohen, d’une « monnaie sans Etat », sans organisation cohérente des pouvoirs publics à l’échelle du marché sur lequel elle s’échange. Aux Etats-Unis, le financement budgétaire d’une stimulation de la demande, assumé par le président Obama, a joué un rôle crucial dans la régulation. Comme aux Etats-Unis, une gestion coordonnée et ambitieuse de l’économie continentale est nécessaire.
Osons le dire : l’Europe a besoin d’un fédéralisme « original » qui partage réellement des souverainetés, dans un esprit de solidarité mutuelle et non dans l’esprit scolaire d’un semestre européen où les premiers de la classe doivent punir et surveiller les plus indisciplinés.