En décembre 2015, la COP 21 se tiendra à Paris. A cette occasion, le mouvement LGBTI s'engage pour le climat « parce que nous sommes conscient(e)s que les minorités sont en général les premières victimes des crises, que celles-ci soient économiques, sociales, politiques… ou climatiques et qu’à ce titre nous nous sentons particulièrement concerné(e)s, nous, lesbiennes, gays, bi, trans, queers ou intersexes ».
L’année dernière, en septembre 2014, plus de 300 000 personnes descendaient dans les rues de New York pour une « grande marche climatique » à la veille de la réunion sur le climat organisée par Ban Ki-moon, le secrétaire des Nations Unies. Un tel chiffre pouvait griser alors que les organisateurs n’en espéraient que la moitié. Ce fut donc une belle surprise. Une surprise qui eut par ailleurs une qualité indéniable : celle de permettre d’insuffler à certains responsables politiques, aux ONGs, aux associations et aux syndicats, une dose de courage supplémentaire en vue de la COP 21 qui aurait lieu en décembre à Paris.
Au sein de cette marche, je remarquai une organisation qui ne put manquer d’attirer l’attention du jeune gay encore non militant que j’étais : les Queer for Climate. Pour autant, je n’étais pas totalement convaincu. L’idée d’avoir à se reconnaître comme LGBTI pour lutter contre le réchauffement climatique n’était pas d’une évidence criante au moment où, en France, nous avions seulement réussi à obtenir le mariage pour tous, non sans douleur d’ailleurs.
Pourtant, à l’heure où la question du statut de réfugié climatique demeure un point aveugle des engagements gouvernementaux, il est difficile de ne pas reconnaître les profondes inégalités dans l’exposition aux dangers du changement climatique et à la destruction de l’environnement par l’activité humaine. Car si les enjeux du réchauffement nous affectent tous et toutes sans exception, il est désormais démontré que ce sont les populations les plus pauvres et les minorités les plus marginalisées qui sont les plus directement soumises à l’insalubrité, aux taux de pollution élevés, au manque d’eau, à la déforestation, à l’appropriation des biens communs ou aux matériaux de construction les plus nocifs. Cette articulation entre dérèglement climatique et renforcement des inégalités est malheureusement peu médiatisée. Et si les conséquences de l'exposition aux dangers de la pollution et du réchauffement ne sont pas exactement les mêmes pour toutes les minorités, notamment en France, ces inégalités et cette articulation interpellent nécessairement les LGBTI.
En juillet, quelques mois avant la grande marche new-yorkaise, Peterson Toscano, acteur et activiste LGBT, donnait le ton sur son blog (https://petersontoscano.com/climate-change-political-instability-and-the-queers/). Énumérant de nombreux cas de minorités sexuelles discriminées ou menacées en temps de crise, climatique ou non, il en venait à citer cette phrase de l’anthropologue féministe Gayle Rubin en 1984 : « Pour certains, la sexualité peut être un sujet inintéressant, une distraction frivole qui ferait perdre de vue ces problèmes plus cruciaux que sont la pauvreté, la guerre, la maladie, la famine ou l’extermination de tous par les armes nucléaires. Mais c’est précisément dans des temps comme les nôtres, où nous vivons sous la menace constante d’une destruction impensable, que les gens sont le plus susceptibles de sombrer dans une folie dangereuse portant sur toutes les questions de sexualité ».
Le contexte étant celui des années 80, les problématiques propres aux questions des « sexualités » et leur articulation à l’actualité étaient alors toutes autres. La portée de cette citation nous invite néanmoins, il me semble, à la faire résonner avec notre situation actuelle.
Le risque mis en avant par Gayle Rubin est complexe, il dessine une voie étroite dans laquelle il est pourtant nécessaire de pouvoir avancer. D’une part, entre une idéologie dominante qui tendrait à présenter toute affirmation d’une minorité et de ses enjeux comme une manière de distraire des problèmes rencontrés lors d'une crise économique et environnementale mondiale et, d’autre part, en évitant l'instrumentalisation de la mobilisation de cette minorité en la considérant politiquement ou médiatiquement comme une crispation identitaire. Là où au contraire, il faudrait reconnaître ce qu'elle signifie véritablement lorsqu'elle s'engage contre cette crise globale.
La crise climatique menace en effet les LGBTI à la fois en tant qu’individus, comme tous les humains, mais aussi en tant que groupe qui risquerait, au même titre que d’autres minorités, de servir de bouc-émissaire à des sociétés angoissées par leur avenir. Dès lors notre implication doit être plurielle, il s’agit à la fois de s’engager pour montrer les véritables causes de la crise climatique, tout ceux qu'elle affecte et soutenir les changements nécessaires à son atténuation, et d’autre part de continuer à affirmer notre identité dans l’espace public et défendre nos acquis en termes de droit.
Par ailleurs, l’affirmation de l’identité LGBTI dans la lutte contre le réchauffement climatique ne nuit en rien aux luttes qui nous importent, trop souvent encore passées sous silence, sur l’accès aux soins et la reconnaissance des droits des trans’, sur l’importance de la prévention contre le VIH, ainsi que toutes les réflexions qui constituent actuellement les débats autour de la parentalité, y compris la PMA et y compris la GPA.
Renoncer à affirmer cette identité pour se fondre dans une masse commune à un moment où l’avenir de notre planète peut se décider dans un accord serait dommageable. Non seulement pour nos causes mais aussi pour ce qu’elles permettent de questionner et de réfléchir, que l’on soit LGBTI ou non.
N’est-il pas pertinent en effet, nous qui avons été si souvent taxés d’être « contre nature », de revenir justement à celle-ci pour continuer à questionner son concept même ? N’y a-t-il pas même un besoin essentiel LGBTI de pouvoir affirmer que nous ne nous inscrivons pas contre elle, mais en elle, et que nos préférences sexuelles, notre genre, les questionnements que nous incarnons ne contribuent pas à la détruire mais seulement à déconstruire l’idée préconçue que nous en avons ?
Pour des LGBTI comme nous, protéger le climat, ce n’est évidemment pas défendre un concept rétrograde de « nature ». L’émergence de mouvements tels que « l’écologie humaine », issue directement de mouvements d’extrême droite proches de la Manif pour tous, de même que les discours perturbants de vieux militants écologistes, gentillets mais un peu dépassés, mâtinés de thèses vaseuses sur la reproduction homme-femme méritent une attention, un souci, car ils sont les signes d’un danger et d’un besoin. Le besoin d’une présence et le besoin d’une prise de position claire face à l’ambiguïté de discours redessinant un concept de nature inquiétant. Les époques de survie ne sont pas, l’Histoire l’a démontré de maintes fois, propices à l’ouverture et à la reconnaissance des droits et de la dignité de chacun. D’où cette nécessité de nous rendre visible avant qu’il ne soit trop tard, avant que nos préoccupations se voient écrasées par l’urgence d’une crise qui deviendrait la lutte prioritaire à mener.
D’autre part, les dynamiques qui ont fait les mouvements LGBTI s’inscrivent dans une histoire, une histoire faite de blessures, certes, mais aussi de belles victoires. Si nous sommes capables de nous émouvoir devant un film anglais, nommé Pride, qui raconte le principe de convergence des luttes entre des mineurs anglais et de jeunes LGBTI, reconnaissons que notre mobilisation pour le climat correspond non seulement à une solidarité, un souci pour autrui, mais aussi plus simplement un souci de ce que nous sommes et de ce tout dans lequel nous vivons.
Car c’est ce « tout » qui se trouve aujourd’hui menacé, c’est notre environnement dans lequel nous nous existons avec nos différences. Lorsqu’en tant que gay, bi, trans, lesbienne ou intersexe, je décide donc de me mobiliser pour la cause du climat, de le protéger, d’accepter de modifier mon mode de vie et de consommation afin de permettre une vie correcte pour les générations futures, générations qui seront aussi diverses que les précédentes, j’expose non seulement cette différence, mais également mon désir de vivre avec les autres.
C’est en reconnaissant cette évidence qu’il nous sera possible de mettre à profit notre savoir, notre expérience, notre humour, et notre culture militante propres dans la mobilisation contre le changement climatique. C’est la dynamique qui anime le mouvement LGBTI pour le climat que nous venons de créer.
Si chacun et chacune est heureusement libre d’intégrer ou non les grandes mobilisations de la fin de l’année, de grossir les rangs à sa manière, qu’il ou elle soit LGBTI ou pas, c’est en tout cas ce que notre mouvement propose : un principe d’engagement et de convergence alors que nous nous rapprochons des échéances de la COP 21. La pression populaire est désormais l’un des seuls moyens de rappeler aux politiques la nécessité de trouver un accord fort sur le réchauffement climatique afin de limiter les conséquences d’une catastrophe déjà en marche, une catastrophe qui mérite plus qu’un accord politique : elle réclame une véritable démarche de réflexivité sur nous-mêmes, sur l’essence de notre dignité et sur la façon dont nous voulons vivre ensemble. Ce mode d’engagement, je le crois, permettra dès lors d’amorcer ce que la journaliste et essayiste Naomi Klein ne définit pas seulement comme une transition mais bien comme une « révolution » : un retournement contre un système qui, autrement, finira bel et bien par nous priver toutes et tous des possibilités de cette même dignité.Cy des LGBTI pour le climat.
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