Billet de blog 7 novembre 2011

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Vivement le G20 mexicain!

Endiguer l'évasion fiscale, combattre la corruption, construire un socle mondial de protection sociale: les sujets du prochain G20, sous présidence mexicaine, pourront aussi inspirer les politiques européennes, estime Karoline Postel-Vinay, chercheuse (Ceri-Sciences-Po).

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Endiguer l'évasion fiscale, combattre la corruption, construire un socle mondial de protection sociale: les sujets du prochain G20, sous présidence mexicaine, pourront aussi inspirer les politiques européennes, estime Karoline Postel-Vinay, chercheuse (Ceri-Sciences-Po).

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Si ce dernier sommet du G20 avait eu lieu non à Cannes mais à Los Cabos, au Mexique, c'est-à-dire là où il se tiendra l'année prochaine, peut-être aurait-on moins parlé de la dette grecque? Peut-être la crise de la zone euro en général n'aurait pas à ce point retenu l'attention médiatique? Sans doute cette crise aurait été présentée pour ce qu'elle est de fait, avant tout un problème européen, et secondairement seulement un sujet pour l'économie globale. L'ethnocentrisme est un trait commun aux sociétés et aux gouvernements du monde; on ne peut pas vraiment reprocher aux Européens de s'intéresser d'abord à eux-mêmes. On n'en voudra donc pas non plus aux Mexicains de mettre en avant, pour «leur» G20, des questions qui les concernent plus particulièrement. D'ailleurs, ce ne sera peut-être pas une si mauvaise nouvelle pour la coopération internationale, voire, en étant optimiste, pour la solidarité planétaire. Car en effet, au sommet de Los Cabos, on se préoccupera probablement plus d'endiguement de l'évasion fiscale, de répression de la corruption, de construction d'un socle mondial de protection sociale.

Le prochain G20 pourrait donc même intéresser les Grecs, et offrir d'autres pistes pour résoudre la crise de leur dette publique. Eva Joly, interviewée à Cannes, considère qu'une véritable politique de lutte contre la fraude fiscale en Grèce serait plus pertinente que les mesures d'austérité annoncées. Plusieurs estimations, faites aussi bien par la banque centrale grecque que par des économistes de la London School of Economics, convergent dans le même sens: les revenus non déclarés constitueraient plus de 27% du PNB de la Grèce, soit l'équivalent de sa dette. L'ONG «Tranparency International» a attribué à ce pays, ainsi qu'à la Roumanie et la Bulgarie, l'indice le plus élevé de corruption dans l'Union Européenne. Le problème du délitement du contrat social, ou de sa fragilité intrinsèque, est d'ailleurs une préoccupation que les Européens -qu'ils soient «pro» ou «anti» G20- peuvent réellement partager avec d'autres, plutôt que celle de la baisse du pouvoir d'achat calculée selon nos critères. Le sentiment de déclassement, légitimement exprimé par, entre autres, les Indignés ou le mouvement «Occupy Wall Street», est une réalité de vieilles puissances riches; réalité qui est hors de portée de millions d'individus dans le monde dont la priorité quotidienne est très prosaïquement de s'alimenter, et pour qui l'accès à la seule éducation primaire est loin d'être évident.

La question de la pauvreté devrait en principe être abordée lors du G20 mexicain. Pour les pays émergents le sujet est crucial. La majorité de la population mondiale vivant sous la ligne de pauvreté, avec moins de 1,5 dollars par jour, réside dans ces sociétés qui connaissent un développement économique extraordinairement rapide mais engendrent des écarts de revenus qui se creusent de manière non moins fulgurante. Tous ces pays où coexistent d'une part les nouveaux millionnaires du classement Forbes, et d'autre part d'énormes masses d'individus extrêmement démunis -le Brésil, l'Inde, la Chine, l'Indonésie, l'Afrique du Sud...- font partie du G20. Le Mexique, même si sa progression économique n'a pas été la même, est marqué par une inégalité sociale comparable: on y trouve Carlos Slim, l'homme le plus riche du monde selon Forbes, alors que 18% de la population, d'après la Banque mondiale, vit sous la ligne de pauvreté. La manière dont s'est déroulé le sommet de Cannes, et l'essentiel de la couverture médiatique qui s'en est suivi, ont occulté cette autre réalité qui concerne pourtant la majorité des citoyens représentés par leurs pays respectifs au G20. Le fait que la Chine ait été sollicitée pour résorber la dette grecque a frappé les commentateurs européens. Mais c'est en perdant de vue que le PIB par habitant des Grecs, mesuré en parité de pouvoir d'achat, reste quatre fois supérieur à celui des Chinois. La division entre richesse et pauvreté à l'échelle planétaire n'a plus le même sens qu'il y a trente ans (lorsque le terme même de «marché émergent» a été inventé), et c'est désormais la notion d'accroissement des inégalités comme fait social global dont il faut tenir compte.

Le défi à moyen et long terme d'une instance comme le G20 sera de réfléchir de façon véritablement collective au problème de l'inégalité afin d'y apporter des réponses concertées. La déclaration de Brasilia, signée en mai 2011 par le Mexique, le Brésil et l'Argentine, appelant à l'extension du socle de protection sociale -défini dans le cadre du Pacte mondial pour l'emploi de l'Organisation Internationale du Travail-, va dans ce sens. Le G20 rassemble des sociétés et des gouvernements extraordinairement différents. Si par exemple en Chine comme en Inde les écarts de revenus sont abyssaux, les autorités de New Dehli doivent prendre en compte des «pauvres qui votent» (voting poor), ce dont leurs homologues de Pékin n'ont a priori pas à se soucier. Cependant même l'inoxydable Parti Communiste Chinois n'a pas une capacité infinie à canaliser le mécontentement social. Et par ailleurs le phénomène de l'inégalité croissante se répand partout -certes, encore une fois, avec des conséquences humaines de gravité variable- et apparaît dans chacun des dix-neuf pays du G20, y compris en Arabie Saoudite. Le sommet de Los Cabos n'apportera pas de solution miracle, et probablement pas encore de langage commun pour définir ce phénomène. En outre, ce sommet mexicain, pour des raisons internes, ne se déroulera pas dans des conditions optimales. Il a en effet été avancé par rapport au calendrier usuel, en juin 2012: soit deux semaines avant des élections présidentielles qui entérineront vraisemblablement la chute du parti conservateur actuellement au pouvoir, et qui vivra donc sa toute fin de règne. Aussi l'équipe en charge de la présidence du G20 risquera-t-elle d'être un peu déconcentrée. Mais le fait que celle-ci soit entre les mains d'un pays émergent, non-membre du G8, devrait permettre de revisiter notre conception des problèmes globaux. Au moins peut-on espérer ne pas être pris dans la même étroitesse que le sommet de Cannes qui décidément aura été très euro-centré, à tous les sens du terme.

Karoline Postel-Vinay, chercheuse au CERI-Sciences Po, vient de publier Le G20, laboratoire d'un monde émergent aux Presses de Sciences Po.

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