Selon Nicolas Postel, économiste, la règle d'or, que souhaitent instaurer Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, «a en réalité tout d'une chape de plomb qui condamnerait l'Etat à l'incapacité d'agir».
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Faut-il pour une bonne gestion de la politique économique nationale interdire constitutionnellement de voter un budget en déséquilibre? Cette question aurait paru absurde au sortir de la seconde guerre mondiale et pendant la période de croissance autocentrée, fondée sur l'éviction politique des marchés financiers et marquée par une forte intervention publique, qui l'a suivie. Il semblait à l'époque acquis qu'un Etat, ce n'est pas un ménage, et qu'il doit, au contraire, parfois se mettre en déficit pour compenser l'excédent d'épargne des ménages, rendus frileux par quelque évènement économique d'importance plus ou moins grande.
Une telle pratique était même considérée comme un devoir public: à l'Etat d'utiliser sa position particulière, surplombante, pour veiller aux équilibres macroéconomiques. Une forme de gestion prudentielle était évidemment suggérée: sur le long terme, il est malsain que l'Etat soit toujours en déficit... Non pas que cela pose problème pour les grands équilibres macroéconomiques: il est en effet tout à fait envisageable qu'un Etat doive en permanence compenser l'excès d'épargne des ménages, mais pour des raisons de justice sociale. En effet, un Etat qui s'endette auprès des ménages qui épargnent, souvent les plus fortunés, leur permet de faire fructifier cette épargne avec un excellent couple rendement/risque obtenu en quelque sorte «sur le dos» de l'ensemble des contribuables.
Mais aujourd'hui tout a changé, n'est-ce pas? Les marchés financiers se sont instaurés en censeurs des politiques, les politiques économiques courageuses ont remis à leur place les classes moyennes et pauvres en réduisant leurs droits sociaux au bénéfice des classes aisées spoliées durant les trente années d'après-guerre, et, finalement, les gouvernants en viennent à se demander s'il ne faudrait pas encore réduire leur capacité d'action en s'imposant à eux-mêmes, spontanément, une règle constitutionnelle d'inaction macroéconomique leur interdisant de se mettre en déficit même quand la conjoncture le demande.
Ce serait, nous dit-on, vertueux. En quel sens? Au sens où un Etat ne devrait pas pouvoir vivre au-dessus de ses moyens, bien sûr! Un ménage qui achète une maison, oui. Une entreprise qui investit, oui. Un Etat, non. Des esprits vicieux, dont quelques prix Nobel d'économie, pourraient bien arguer qu'avec une telle règle, les efforts publics qui ont permis de comprimer le choc de l'effondrement des marchés financiers et la crise de credit crunch qui s'en est suivie en s'endettant massivement n'auraient pas pu être tentés. La crise aurait été plus brutale, plus profonde, mais, semble-t-il, plus vertueuse! Chacun bien sûr reconnait que les marchés sont volatiles, que les agences de notations (qui ont très activement sur-notés les crédits subprime) sont très versatiles, que les banques sont adeptes de la privatisation des gains et de la collectivisation des pertes... mais ce sont là des acteurs privés, qu'y peut-on, n'est-ce pas? Reste seulement à faire en sorte que la puissance publique, elle, au moins, soit vertueuse!
Le problème est que les arguments, keynésiens, hier utilisés pour prouver la nécessité d'avoir un acteur public capable de se mettre en déficit sont toujours vrais, et validés par les faits. Ils doivent sans doute être fortement précisés en indiquant que l'apprentissage récent de l'enrichissement des classes les plus riches devrait conduire un Etat vraiment vertueux à combler les budgets déficitaires au temps T par des hausses d'impôts véritablement proportionnés aux revenus au temps T+1, ceci de manière à compenser le cadeau inévitable qu'il fait aux plus riches en s'endettant. Cela pourrait être une autre «règle»: «faire en sorte que ceux que la crise a enrichi payent la plus large part des coûts que cette crise engendre». Une telle règle serait cependant tout à fait contraire à celle qu'on nous vante aujourd'hui!
La fameuse «règle d'or» dont on débat actuellement a en réalité tout d'une chape de plomb qui condamnerait l'Etat à l'incapacité d'agir.
Transformer le plomb en or... voilà au fond le coup de génie des alchimistes modernes, qui, dans le même temps transforment aussi la crise en boom pour les profits, la pauvreté en gains pour les riches, la démocratie sociale en retour à l'ancien régime... Ah qu'il est beau notre nouveau Moyen-Age!
Nicolas Postel, économiste à l'Université Lille 1 et membre de l'Association française d'économie politique (AFEP).