Des étudiants de gauche de Sciences Po Paris réagissent à la manière dont a été traitée l'apparition d'une antenne du Front National à Sciences Po. Et dénoncent que « Pendant un mois, la presse a fait tourner la vie politique de Sciences Po autour du Front National. Un parti, qui ne disait rien et ne faisait rien, a presque réussi à prendre en otage le débat dans notre école ».
Pourquoi diable le Front National semble-t-il toujours être en dynamique ?
Est-ce parce qu’il représente un mouvement de fond dans la société française ? Parce que son programme est en phase avec les aspirations profondes du peuple ?
Non. Le Front National proposait un plan d’austérité de 70 milliards d’euros pendant la campagne de 2012 et les Français pensent dans leur écrasante majorité que l’austérité est un échec. Le Front National fantasme une France où les Français « de souche » vivraient dans la peur des nouveaux arrivants et le peuple français est un des plus mélangé, le champion d’Europe pour les mariages mixtes. Le Front National veut remettre en cause le droit à l’avortement en le déremboursant et pour le plus grand nombre, il s’agit d’une liberté fondamentale des femmes. Le Front National veut renvoyer les réfugiés dans leurs pays en guerre alors que la tradition française est dans l’asile politique
Nous pourrions multiplier les exemples, ils sont très nombreux. Ils ne sont pourtant jamais relayés. Le récit qui nous est proposé n’est pas celui d’un parti en décalage total avec la société française, ses évolutions, son métissage, ses aspirations à la justice sociale. On nous met plutôt en scène un Front National en permanente ascension, brisant tous les tabous, toujours au combat, à l’assaut. Un Front National rajeuni, sexy, en somme et attrayant. Il tend à devenir le seul sujet politique dans le pays : que Marine Le Pen bouge un orteil et le lendemain Florian Phillipot fera quatre ou cinq matinales. Cette dégradation de notre débat national en faveur de l’extrême droite, toute l’habileté des dirigeants du FN n’aurait pas suffit à la rendre possible. C’est bien d’un partenariat dont on parle, un tango endiablé entre les médias et le Front National.
L'exemple du FN à Sciences Po
Ce dernier mois, nous, étudiants de Sciences Po, avons eu sous les yeux un cas d’école de ce lepénisme médiatique. Résumons les faits. Le 27 août dernier, 4 étudiants sortent un communiqué de presse annonçant leur intention de créer une antenne du Front National à Sciences Po. A partir de ce moment, ils n’ont qu’à laisser les choses se faire pour bénéficier de plus de couverture médiatique en un mois (dont un passage au Grand Journal) que tous les autres partis politiques représentés à Sciences Po en dix ans. En effet, les médias reprennent en masse leur communiqué, tel quel, éblouis et tétanisés par les mots “Front National” comme un lapin par les phares d’une voiture. Cela continue pendant un mois. Peu importe qu’en réalité il ne se passe rien, que les militants FN ne viennent jamais militer auprès des étudiants, pour Le Point il est “à l’abordage” de Sciences Po, pour DirectMatin il “débarque en force” et pour L’Obs il provoque même un « tremblement de terre ». Lorsque le Front National est reconnu (par 120 voix d’étudiants de Sciences Po) après les Républicains et prétend alors, par la voix de Marine Le Pen, être le « deuxième parti de Sciences Po », les médias reprennent encore une fois cette information sans la vérifier ni produire aucune analyse.
Or, si on connaît le fonctionnement de la procédure de reconnaissance des associations de Sciences Po, on comprend que cela n’a aucun sens : les votes sont arrêtés lorsqu’une association atteint 120 voix, on ne peut par conséquent pas faire de classement, et la rapidité avec lequel le FN Sciences Po a été reconnu doit certainement beaucoup au battage médiatique qui leur a bénéficié ainsi qu’à leur absence de campagne. En effet, les rares fois où les membres du FN Sciences Po se sont adressé aux étudiants, ils n’ont fait aucune mention de leurs idées et se sont contentés d’expliquer que leur reconnaissance était un enjeu démocratique. Autre exemple flagrant de la soumission médiatique effrayante au FN : la plupart des articles écrits sur le sujet ont raconté que c’était la « première fois » que le parti d’extrême droite arrivait à Sciences Po. C’est bien sûr faux, comme l’a prouvé directement David Colon en exhumant un article d’un journal étudiant de Sciences Po des années 1990. Tous les journalistes ont repris cette information sans la vérifier, sur la seule base que le FN l’avait affirmé !
Ainsi, pendant un mois, la presse a fait tourner la vie politique de Sciences Po autour du Front National. Un parti, qui ne disait rien et ne faisait rien, a presque réussi à prendre en otage le débat dans notre école. Évidemment, c’était sans compter sur nous, obstinés militants d’une alternative de gauche. Pendant la valse de l’absurde dans laquelle le Front National menait des médias envoûtés, nous avons continué à discuter, à débattre du fond.
Ce qui est vraiment inquiétant, ce n’est pas que le Front National arrive à Sciences Po. Ce qui est vraiment inquiétant c’est que ce que nous décrivons ici pour Sciences Po, ce partenariat entre la presse dominante et l’extrême droite, existe à l’échelle du pays tout entier depuis bien trop d’années. Il suffit par exemple que Marine Le Pen dise que le Front National est devenu antilibéral sur le plan économique pour que toute la presse reprenne en choeur, alors même que le programme présidentiel de la châtelaine de Montretout prouve le contraire à chacune de ses pages.
En France, il y a des sujets sérieux dont nous devons parler : la transition écologique, une répartition plus équitable des richesses, un profond renouveau de notre démocratie…
La vie politique ne peut pas tourner autour du Front National : nous ne pouvons pas nous le permettre. Car il y a une alternative à construire.
Signataires :
William Borgomano, responsable Les Ecolos Sciences Po
Hippolyte Carrière, étudiant à Sciences Po et militant engagé à gauche
Arthur Contamin, responsable du Front de Gauche Sciences Po
Léa Delmas, étudiante à Sciences Po et militante féministe
Aurélien Froissart, responsable Les Ecolos Sciences Po
Amélie Gaillat, responsable les Ecolos Sciences Po
Gabriel Livney, responsable Les Ecolos Sciences Po
Marie Milliy-Dellas, responsable du Front de Gauche Sciences Po
Antoine Salles-Papou, responsable du Front de Gauche Sciences Po