Quelques jours après le décès brutal du cinéaste Jean-Henri Roger, hommage au « goût du partage et de l'action collective » d'un « ami et un camarade de lutte comme il y en a peu » à l'engagement politique « exemplaire ». Par Mathieu Amalric, Ariane Ascaride, Lucas Belvaux, Isabelle Broué, Dominique Cabrera, Laurent Cantet, Robert Guédiguian, Claire Simon...
Jean-Henri Roger nous a brutalement quittés dans la nuit de la Saint-Sylvestre. À l’heure où l’on fête la nouvelle année, son cœur s’est arrêté, nous laissant abasourdis, et tristes…
Nous avons perdu un confrère, un cinéaste, mais aussi un ami et un camarade de lutte comme il y en a peu.
Militant infatigable, jamais avare de son temps, de son énergie et de son intelligence lorsqu'il s'agissait de défendre une cause qu'il trouvait juste, il incarnait ce que la gauche française a de meilleur : la générosité, l'insolence, la révolte devant les injustices, la résistance aux pouvoirs établis, le soutien aux plus démunis, la constance dans l'engagement, le goût du collectif et de la démocratie, la certitude « qu'à plusieurs, c'est mieux que tout seul ».
Son engagement politique était exemplaire et nous voudrions ici faire partager ce qu'il nous a appris.
« Unis nous sommes plus forts »
Dans ce milieu où chacun est souvent poussé à penser que le collègue est un concurrent, Jean-Henri avait le goût du partage et de l'action collective. Conscient que seule l'union dans le combat est une condition du succès, il a mis beaucoup d'énergie à faire vivre des structures associatives comme Cinélutte, la SRF (Société des réalisateurs de films) ou à participer à la création de l'Acid (Agence du cinéma indépendant pour sa diffusion, association de réalisateurs qui choisissent, défendent et aident à diffuser le cinéma indépendant), ou le Bloc (Bureau de liaison des organisations du cinéma, qui réunit l’ensemble des acteurs indépendants de la filière cinématographique). Dans la même logique, intimement persuadé qu'un réalisateur ne peut ignorer le combat de l'ensemble des techniciens et acteurs qui participent à la création d'un film, Jean-Henri s'était aussi pleinement investi dans la lutte des intermittents du spectacle.
Beaucoup d'entre nous se souviennent de son accueil chaleureux dans toutes les structures qu'il animait : il considérait qu'un club ne pouvait pas être privé et qu'une organisation réellement démocratique appartenait à tous ceux qui avaient envie d'y travailler. Nombreux furent les réalisateurs plus jeunes à faire leurs premiers pas dans ces organisations sous l'œil bienveillant de Jean-Henri. Nombreux aussi furent les étudiants passionnés par ses cours, qu'il donnait encore ces derniers jours à l'Université Paris VIII, où il était maître de conférences au département Cinéma, dont il fut là encore un des fondateurs.
« Les films ne sont pas des produits »
Jean-Henri nous a toujours encouragés à ne pas rester les témoins impuissants et atterrés des dérives du “ marché ”, des tentatives de nivellement créatif des télévisions commerciales et des financiers de tout poil. Convaincu que les films sont des œuvres singulières, exprimant un point de vue personnel et libre, il s'est constamment battu pour qu'ils ne deviennent pas de simples produits de consommation asservis à la logique de la rentabilité. Jean-Henri a été, avant tout le monde, le premier à comprendre le danger que représentait pour la culture les accords du Gatt et de l'AMI à un moment où personne n'avait perçu ce qui se jouait dans ces textes destructeurs qui tendaient sournoisement à transformer en marchandises toutes les œuvres de l'activité humaine… Il s'est beaucoup investi dans la mobilisation des cinéastes de l'Europe entière dans la bataille menée pour la défense de “ l'exception culturelle ”. Avec la même cohérence, il a popularisé et soutenu à Paris la lutte des cinéastes sud-coréens, quand la signature d'un accord bilatéral avec les États-Unis menaçait de détruire leur modèle de production cinématographique.
Jean-Henri s'est battu avec d'autres pour faire comprendre et imposer la précieuse “ clause de diversité ” à Canal Plus, qui oblige la chaîne à réinvestir une partie de ses bénéfices dans la production de films à petits et moyens budgets, ces films “ d'auteurs ”, tels Louise Wimmer de Cyril Mennegun, Tomboy de Céline Sciamma, ou encore Entre les murs de Laurent Cantet, Palme d'or à Cannes, qui n'existeraient pas ou très difficilement sans cette clause et qui manqueraient cruellement à notre cinématographie.
« Le cinéma n'est pas une tour d'ivoire »
Jean-Henri ne vivait pas le cinéma dans le confort d'une tour d'ivoire. Il concevait son métier en prise directe avec la société, au cœur du monde. Voilà pourquoi il s'était aussi engagé depuis le début dans la lutte des sans papiers, participant activement aux trois films co-réalisés par des cinéastes regroupés au sein du Collectif des cinéastes pour les sans papiers, accompagnant leur lutte avec toutes les actions de terrain que cela implique.
Tel était Jean-Henri Roger, notre ami. En ces temps troublés où le “ modèle ” français du cinéma qu'il a contribué à forger est remis en cause de toutes parts, nous nous rappelons les amicales leçons qu'il nous a professées dans la fumée bleue de ses Gitanes. Elles sauront nous servir de repères dans les tempêtes qui s'annoncent.
Rabah Ameur-Zaïmeche
Chantal Akerman
Mathieu Amalric
Michel Andrieu
Ariane Ascaride
Lucas Belvaux
Simone Bitton
Dominique Boccarossa
Laurent Bouhnik
Stéphane Brizé
Isabelle Broué
Dominique Cabrera
Laurent Cantet
Malik Chibane
Ariane Doublet
Robert Guédiguian
Luc Leclerc du Sablon
Serge le Péron
Pierre-Oscar Levy
Jacques Maillot
Gérard Mordillat
Alain Nahum
Nicolas Philibert
Alain Raoust
Sandrine Ray
Bruno Rolland
Christophe Ruggia
Pierre Salvadori
Claire Simon
Pascal Thomas
Jean-Pierre Thorn