Psychologue clinicienne, Dominique Lanza dénonce l'instrumentalisation émotionnelle d'un fait divers à nouveau pratiquée par Nicolas Sarkozy à l'occasion de l'affaire Laetitia Perrais (qui provoque la fronde des magistrats).
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L'intervention de Nicolas Sarkozy à Orléans, le 3 février 2011, critiquant justice et police et promettant des sanctions dans la douloureuse affaire Laetitia Perrais (après un discours préparant l'opinion par des inflexions sentimentalistes) a eu pour conséquence une révolte sans précédent, dans laquelle police et magistrature se montrent solidaires dans l'indignation. La politique du chef de l'Etat, restrictive en moyens et en personnels alloués aux services incriminés, se montre généreuse en effets d'annonce. Rappelons que les services concernés avaient à ce propos déjà alerté officiellement leur hiérarchie.
L'actualité politique du Président de la république se révèle une fois de plus liée à un fait divers. Pour promouvoir sa politique sécuritaire, à l'orée d'une campagne électorale où l'on voit se dessiner les mêmes contours idéologiques que ceux du Front national, Nicolas Sarkozy semble avoir oublié les lois de 2004, 2005, 2007, 2008 et 2010. Il utilise à nouveau le drame de la délinquance sexuelle pour se présenter comme le supposé éradicateur de la récidive. Ce qui conduit à cette question : quel impact a sur la démocratie l'exploitation systématique du fait divers pour justifier une politique ?
Quand un homme politique se sert de l'actualité délictueuse pour faire spectacle, il fait courir à la démocratie un authentique danger. Dans cette configuration, le journalisme qui lui sert de vecteur participe à l'utilisation de l'émotion collective et se transforme en une industrie d'opinion pour laquelle l'immédiat et le spectaculaire priment sur l'analyse.
Une question émerge alors : pourquoi un homme dont la fonction est, entre autres, de se soucier de la bonne image des institutions de son pays (elles représentent l'Etat) les attaque-t-il en se concentrant sur la déviance sexuelle ?
Quand le chef de l'État déclare : «c'est un drame qui vous bouleverse, qui me bouleverse et c'est plus possible» nous laisserait-il entendre qu'il n'a d'autre programme que de nous priver de nos émotions alors qu'il les utilise politiquement ? De fait, le crime vient mettre en échec les idéologies qui tentent de nous faire accroire que le risque émotionnel est évitable au moyen d'un arsenal législatif toujours plus important, et à l'évidence tout autant inefficace.
Dans son dernier ouvrage, De quoi la psychanalyse est-elle le nom ? , Roland Gori propose une analyse des dérives de la «démocratie d'audimat» portées par l'urgence journalistique, la société du spectacle et de la consommation. Il questionne ce qui conduit les politiques à fonder leurs choix sur les sondages de l'opinion publique et à transformer notre société en une «démocratie d'audimat». Le pouvoir s'engage alors, au mépris du politique et du nécessaire débat citoyen, dans une politique du fait divers. Il utilise la peur du risque en lieu et place de la réflexion et de l'éthique. Le fait divers vient justifier un projet législatif qui préexistait. Par une sorte d'évidence naturelle, l'émotion suscitée vient justifier une loi préparée en amont et présentée comme la solution définitive aux récidives de la délinquance sexuelle.
La médiatisation journalistique de la passion provoquée par le fait divers, donne à la politique de l'audimat une nourriture gorgée du poison de l'émotion collective. Elle est la matière de réponses politiques telles que celle à laquelle nous avons assisté à Orléans. Sacrifier l'analyse politique et le positionnement éthique à la prise en considération de l'opinion publique est un authentique risque pour notre démocratie, et participe de sa dégénérescence.