Billet de blog 9 mars 2011

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Iran: une bataille peut en cacher une autre

Fariba Adelkhah, chercheuse à Sciences Po-CERI, revient sur l'élection du président de l'Assemblée des experts, lundi 7 mars en Iran, et dresse un état des lieux du rapport de force entre les conservateurs, le Mouvement Vert et Mahmoud Ahmadinejad.

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Fariba Adelkhah, chercheuse à Sciences Po-CERI, revient sur l'élection du président de l'Assemblée des experts, lundi 7 mars en Iran, et dresse un état des lieux du rapport de force entre les conservateurs, le Mouvement Vert et Mahmoud Ahmadinejad.

-------------

Coup de théâtre à Téhéran: l'ayatollah Mahdavikani, figure éminente de la droite conservatrice et de la Révolution de 1979, a déposé in extremis sa candidature à la présidence de l'Assemblée des Experts (1), provoquant de ce fait le retrait de celle de Hachemi Rafsandjani, le président sortant, qui a déclaré vouloir éviter une situation conflictuelle. On interprétera cette péripétie comme un nouveau revers du Mouvement vert, dans la mesure où celui-ci perd l'un de ses derniers soutiens au sommet de l'Etat.

Reste que Hachemi Rafsandjani n'avait lui-même présenté sa candidature à la présidence de l'Assemblée des Experts, en 2008, qu'après s'être assuré que l'ayatollah Mahdavikani n'envisageait pas la sienne, et qu'il avait publiquement dit ces jours-ci qu'il ne se maintiendrait pas si ce dernier entrait en lice.

Ce genre de politesse est un classique de la vie politique iranienne et a été abondamment pratiqué entre les différents leaders réformateurs à l'approche de la dernière élection présidentielle. Ce qui n'exclut évidemment pas de féroces luttes d'influence derrière cette apparente courtoisie ou cet esprit chevaleresque.

Par ailleurs, Hachemi Rafsandjani va sans doute gagner en autorité morale ce qu'il perd en pouvoir institutionnel. Et 21 membres de l'Assemblée sur 84 semblent avoir boudé l'ayatollah Mahdavikani puisque les communiqués officiels ne font état que de 63 votes en sa faveur, sans préciser si les autres membres ont voté contre, se sont abstenus ou n'ont pas participé au scrutin pour une raison ou pour une autre. Il faut préciser que le silence est le mode d'expression le plus éloquent pour un clerc...

Cette avancée du camp conservateur est donc peut-être en trompe l'œil. Surtout si l'on considère que celui-ci n'avait pas d'autre candidat à pousser qu'un homme certes respecté, mais âgé de 79 ans, ou en tout cas qu'il a dû se résigner à jouer cette carte pour provoquer le retrait volontaire de Hachemi Rafsandjani, faute d'être certain de pouvoir le faire battre dans les urnes. Ce retournement de dernière minute ne peut cacher l'épuisement de l'engagement politique du clergé qui avait caractérisé l'épisode révolutionnaire et les premières années de la République: cette génération ne paraît pas avoir de relève.

Il y a plus intéressant. La guerre que la droite mène contre le Mouvement vert, et qui l'a conduite à demander l'inculpation de ses leaders, ne doit pas cacher celle, tout aussi acharnée, qu'elle poursuit contre Mahmoud Ahmadinejad.

Ce dernier s'est tenu à l'écart de l'élection du président de l'Assemblée des Experts, si l'on en juge par le fait que son mentor, l'ayatollah Mesbah Yazdi, ne s'est pas porté candidat, contrairement à 2008, où il avait été battu par Hachemi Rafsandjani. Le président de la République joue décidément sur un autre tableau que celui de la scène cléricale, voire que celui des institutions, qu'il est enclin à court-circuiter. De plus, il ne se met pas en première ligne de la répression contre le Mouvement vert et laisse habilement au Guide de la Révolution et à la droite conservatrice le «sale boulot».

Le jeu de la droite est double: faisant mine de s'en prendre d'abord aux réformateurs, elle cherche surtout à endiguer l'autonomisation du pouvoir présidentiel en s'appuyant sur le parlement et la justice, institutions que dirigent deux de ses ténors, respectivement Ali et Sadegh Laridjani, l'un et l'autre proches du Guide de la Révolution. En reprenant le contrôle de l'Assemblée des Experts, dont dépend la succession de celui-ci, elle marque un point dans cette deuxième guerre.

C'est au détour d'événements secondaires que l'on repère le mieux ces clivages et leur répercussion dans l'ensemble de la société. Par exemple, les clercs se sont retirés de la tribune officielle lors de la visite de Mahmoud Ahmadinejad à Shiraz, le 7 mars, lorsqu'un orchestre s'est installé, mais le président de la République est resté en place et a écouté sereinement la musique avant de prendre la parole. Ou encore, les élections consulaires des chambres de commerce, en février, ont confirmé la prédominance en leur sein de la droite conservatrice et le peu de crédit des ahmadinejadistes dans ces milieux économiques.

De toute évidence, les deux principaux camps en présence préparent déjà activement les prochaines législatives, en 2012, et l'élection présidentielle de 2013, en tablant sur le hors-jeu des réformateurs.

Reste que ces calculs devront tenir compte de la mobilisation persistante de la rue qui n'a pas dit son dernier mot et qui est, par définition, imprévisible, comme le rappellent les événements du Moyen-Orient: elle peut par exemple s'embraser à l'occasion d'un rassemblement festif, match de football ou célébration de Norouz, ou encore à l'approche d'une échéance électorale, qui donne toujours lieu à des attroupements sur la voie publique.

Reste aussi que le système politique peine à renouveler son personnel dirigeant pour mieux répondre aux attentes de l'opinion: il est lui-même son principal ennemi faute de se régénérer.

Reste enfin que la diaspora, forte de quatre millions d'expatriés, abrite un rapprochement (ou une alliance?) entre des courants idéologiques longtemps antagonistes, monarchistes, nationalistes républicains, intellectuels démocrates, islamistes, dont de nombreux réformateurs khatamistes hier aux commandes du régime: convergence inédite, et dont le dénominateur commun est la revendication d'un changement politique. Cette configuration est propice à la radicalisation des uns et des autres, radicalisation qui est déjà tangible et qui est sans issue autre que la violence, celle du pouvoir et celle de sa contestation.

(1) L'Assemblée des Experts comporte 88 membres. 4 sièges sont actuellement vacants du fait du décès de leur titulaire. La prérogative essentielle de cette institution est le choix du Guide de la Révolution, voire son éventuelle destitution s'il n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions telles que les définit la Constitution.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.