Billet de blog 11 mars 2016

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A l'université, la sélection n'est ni le vrai problème ni la bonne solution

«Depuis l'avis contentieux rendu par le Conseil d'Etat le 10 février 2016 déclarant illégale la sélection en master, le débat sur la démocratisation de l’enseignement supérieur s’ouvre à nouveau». Le Conseil d’Administration de l’ASES (Association des Sociologues Enseignant.e.s du Supérieur) prend position sur ce débat épineux et demande des comptes.

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Depuis l'avis contentieux rendu par le Conseil d'Etat le 10 février 2016 déclarant illégale la sélection en master, le débat sur la démocratisation de l’enseignement supérieur s’ouvre à nouveau. Le ministère propose une action en deux temps, dont le caractère précipité et l'opacité sidèrent : les présidents d'université doivent lui faire remonter pour le 14 mars une liste réduite de masters sélectifs, légalisés par décret en avril. Comment se fera ce choix, qui prendra part aux décisions ? La communauté universitaire n’en sait rien. La concertation et les débats nécessaires sur la question devraient n’avoir lieu que “dans les prochains mois, une fois le décret publié”, ont annoncé Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon. Pourquoi un tel empressement ? Les objectifs sont, encore une fois, flous et contradictoires.

Par ailleurs, ces dernières semaines, la Conférence des Présidents d’Université et plusieurs collègues enseignant.e.s-chercheur.e.s, ont pris position pour le maintien de la sélection entre le master 1 et le master 2, voire pour une sélection à l'entrée en master 1. Ces prises de position, oscillant entre deux types d’arguments (schématiquement : la sélection comme principe politique permettant de maintenir l’excellence ou la sélection comme principe de réalité dans un contexte de pénurie de moyens matériels et humains), ont suscité des critiques et des discussions, notamment sur les listes de discussion professionnelles des sociologues et des politistes. Ces débats passionnés et clivés montrent que les enseignant.e.s du supérieur, quel que soit leur statut, sont profondément désemparé.e.s et anxieux/ses, comme le sont aussi les étudiant.e.s et leurs familles, face à ce nouveau bouleversement du paysage académique.

Les politiques menées depuis le Pacte de Bologne, la LRU et les lois Fioraso ont en effet fortement fragilisé le système français d’enseignement supérieur et de recherche, sans résorber les inégalités sociales. C’est plus largement l’ensemble du système d’enseignement, dans le primaire comme dans le secondaire qui s’est détérioré,en accentuant les inégalités entre les élèves et étudiant.e.s les mieux doté.e.s, et les autres. Dans le supérieur, la concurrence règne entre et à l’intérieur des établissements (“d’élites” et “les autres”, entre métropoles et “régions”) au mépris de l'égalité républicaine et au nom d’une compétition pour la captation d'étudiant.e.s. Cette compétition est structurée par la persistance d'une exception française (les Grandes Écoles et les classes préparatoires) et l'incroyable progression d'un marché privé du supérieur (absorbant 19 % des effectifs selonun rapport de l'IGAENR). À côté des formations courtes et professionnalisantes (DUT, STS, écoles préparant à des concours nationaux), se multiplient des diplômes plus ou moins dérégulés (les “mastères” et “bachelors”), brouillant les cartes de l'orientation des futur.e.s étudiant.e.s alors même que le ministère prétend rendre l’offre de formation plus lisible !

Aussi, dans un contexte de chômage de masse endémique, les difficultés d’insertion des jeunes s’aggravent et c’est sur l’université et plus largement sur l’éducation nationale que l’on fait porter, avec une insupportable mauvaise fois, la mission autant que la responsabilité de l’employabilité de la jeunesse. Le chômage structurel que les diplômé.e.s du supérieur subissent (bien que dans des proportions moindres, car le diplôme protège toujours du chômage) est pourtant bien le résultat de choix politiques gouvernementaux. L’université ne détient pas la clé du plein-emploi, quand bien même elle amènerait 100 % d’une classe d’âge à décrocher un master mention très bien !

Pour lors, les universitaires sont pris en tensions permanentes entre les injonctions à la réussite scolaire et professionnelle d'un nombre de plus en plus grand d'étudiant.e.s (et lesflux ne sont pas prêts de se tarir) et la baisse structurelle de moyens humains, matériels et pédagogiques pour réaliser  leur triple mission d'enseignement, de recherche et administrative.

Dans ce contexte, l’hétérogénéité croissante des publics accueillis dans les établissements publics d’enseignement supérieur, dont on ne pourrait que se réjouir si cette démocratisation se produisait dans de bonnes conditions matérielles, est ainsi parfois vécue comme une source supplémentaire de difficultés dans l’exercice du métier d’enseignant et non comme un stimulant défi.

C’est ce trouble que l’on retrouve dans le débat sur la sélection en master : comment allons-nous pouvoir garantir de bonnes conditions d’étude et maintenir des conditions de travail satisfaisantes si l’absence de sélection conduit à des masters surchargés ? Comment délivrer une offre de qualité et toujours attractive de nos masters universitaires dans un contexte faussé par les déséquilibres concurrentiels internes ou face aux Grandes Ecoles comme aux filières privées ?

Pour l’heure, aucune réponse satisfaisante n’a été apportée sur ce sujet, ni par celles et ceux qui prônent la sélection au nom d’une philosophie méritocratique et élitiste (dont on sait qu’elle ne peut que reproduire les inégalités sociales) ni par celles et ceux qui refusent la sélection au nom de principes démocratiques (légitimes mais dont on voit mal comment ils pourraient être mis en œuvre efficacement dans un système d’enseignement supérieur dérégulé, morcelé et déjà exsangue en certains endroits). Le démantèlement continu de l’université fait le lit des positions régressives comme le montrent de nombreux travaux en sociologie politique de l’éducation. Ces derniers expliquent pourquoi, dans un contexte néo-libéral, des dispositifs apparemment progressistes finissent en fait par perpétuer des mécanismes de reproduction sociale et, inversement, comment les seconds se font passer pour les premiers. Dans ce flou généralisé, les impasses inégalitaires et antidémocratiques telles que la sélection peuvent ainsi apparaître comme des issues souhaitables voire inévitables. Défendre une université véritablement publique, autrement dit au service d’un savoir universel pour tou.te.s, sans distinction de moyens ni d’âge, et donc ambitieuse dans ses objectifs républicains, suppose pourtant de s’engager non pas pour la gestion optimisée de flux d’étudiant.e.s mais bien pour un investissement politique massif dans l’ESR afin d’avoir les moyens de renvoyer sérieusement et définitivement la sélection dans les errements aristocratiques du passé.

Si le gouvernement veut sincèrement démocratiser l’accès à l’université et la réussite du plus grand nombre en licence et en master, il ne peut décemment demander aux enseignant.e.s-chercheur.e.s de répondre seulement à des objectifs chiffrés, et de se débrouiller pour faire mieux et plus avec moins. Cela n’a aucun sens si ce n’est pour celles et ceux qui prennent n’importe quels tableaux excel pour le réel.

Si le gouvernement veut faire en sorte que l’université produise quelques masters d’élite labelisés comme tel, alors qu’il l’assume ouvertement, mais il ne fera croire ni à la communauté universitaire, ni aux familles, qu’il remplit par là un objectif de démocratisation ou bien de lutte contre les inégalités sociales et scolaires.

Si le ministère de l’éducation nationale ne met pas en œuvre les actes consistants qui s'imposent en termes de moyens et en définissant les finalités de l'enseignement supérieur public français, en particulier le rôle de l'université, la situation ne pourra que s'aggraver, le mécontentement et le désarroi des collègues que s’accroître, l'anxiété et la confusion des étudiant.e.s et de leurs familles qu’augmenter, la faillite annoncée de notre système d'enseignement et de recherche que s’amplifier, et sa qualité reconnue internationalement que continuer à s'éroder. Nous en appelons donc à la responsabilité de nos président.e.s d'université, de notre ministère de tutelle, du premier ministre et du président de la République pour que la jeunesse reste la priorité du quinquennat et que cette promesse de campagne ne soit pas elle aussi sacrifiée sur l’autel d’une université toujours plus appauvrie et sélective.

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