Billet de blog 9 avril 2010

Gabriel Colletis

Abonné·e de Mediapart

Changer de regard sur la crise

Pour Gabriel Colletis, économiste, la destruction du mode de régulation fordiste par la mondialisation et le capitalisme financier n'a pas produit de nouvel équilibre. Il est donc aujourd'hui nécessaire, pour retrouver un modèle de croissance, de repenser le compromis salarial entre capital et travail, et pas seulement de réguler les marchés.

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Pour Gabriel Colletis, économiste, la destruction du mode de régulation fordiste par la mondialisation et le capitalisme financier n'a pas produit de nouvel équilibre. Il est donc aujourd'hui nécessaire, pour retrouver un modèle de croissance, de repenser le compromis salarial entre capital et travail, et pas seulement de réguler les marchés.

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Nous pouvons résumer la thèse soutenue par André Orléan et exposée récemment dans les colonnes d'un quotidien du soir (Le Monde, 30 mars) dans les termes suivants : la crise, moteur du capitalisme, a été principalement de nature financière et bancaire. Elle est celle d'un capitalisme financiarisé ou patrimonial. Ce capitalisme, né au début des années 80, place en son centre les marchés financiers qui contrôlent désormais les droits de propriété. Une des conséquences de ce régime de croissance est une forte pression sur les salaires.

La crise s'explique par le fait que le capitalisme patrimonial ne réussit plus à contrôler l'extension de son secteur financier, dont le poids devient handicapant à partir d'un certain seuil. Cette crise ne peut plus être contenue par le maniement de «l'arme monétaire» (croissance très forte des liquidités, susceptibles d'affecter la valeur des monnaies) ou budgétaire (croissance vertigineuse des dettes publiques). Elle nous oblige à réinventer un autre modèle de croissance.

Si cette thèse contient plusieurs éléments avec lesquels nous sommes en accord (la pression sur les salaires, le caractère central des marchés financiers), nous souhaiterions en préciser ou reformuler certaines dimensions et aussi indiquer ce qui nous semblent être les termes centraux d'un nouveau paradigme.

La crise actuelle trouve son origine dans celle du fordisme resté sans successeur

Il convient tout d'abord de revenir sur la désignation «régime de croissance». Il nous semble tout d'abord difficile de parler de régime de croissance pour qualifier le capitalisme qui se met en place au début des années 80 sans insister d'emblée sur les multiples déséquilibres et l'instabilité dont ce régime est porteur. Cette croissance, très inégale d'un espace régional à un autre, aura été basée sur une fuite en avant qu'expriment les mécanismes du crédit puis de la titrisation.

S'il en est allé ainsi, c'est qu'aucune configuration viable n'a été trouvée suite à la remise en cause du mode de régulation fordiste. A la différence du régime de croissance financiarisé qui l'a suivi, le mode de régulation fordiste a été marqué par une relative stabilité tenant aux différents compromis assurant à la fois les conditions d'obtention des gains de productivité et leur répartition. La crise de ce mode de régulation résulte d'une convergence entre l'épuisement des gains de productivité (crise du travail taylorien), ce dès la fin des années 60, et une ouverture croissante des économies rendant impossible le bouclage macro-économique. Le keynésianisme, avant de dépérir dans le style des politiques économiques (années 80), meurt comme dynamique économique (années 70) car il n'est plus possible d'assurer dans des économies de plus en plus ouvertes l'enchaînement vertueux du fordisme : gains de productivité/hausse des salaires/débouchés croissants/augmentation de la production/gains de productivité...

Ce que nous voulons signifier ici, c'est que la crise du régime dit de «croissance» financiarisé est, en fait, l'arrivée en bout de course d'un capitalisme qui ne sera pas parvenu à inventer un nouveau mode de régulation depuis la crise du fordisme.

Considérée ainsi, la crise actuelle est, certes, financière en ce qu'elle est la crise d'un régime financiarisé mais son origine nous conduit à remonter vers une période antérieure, celle de la crise d'un mode de régulation, le fordisme, resté sans successeur.

Une réinterprétation du régime de croissance financiarisé

Ce qui se met en place dans les années 80 et s'étend par la suite (années 90 et décennie suivante) n'est en rien un régime stable de croissance, a fortiori un nouveau «mode de régulation». Le principe de fonctionnement du capitalisme financiarisé est le suivant :

les revenus des capitaux et du travail (le capital financier, le capital productif, le travail qualifié, le travail peu ou pas qualifié) sont déterminés par leur mobilité différentielle. Plus un «facteur» est mobile (voire volatile), mieux il est rémunéré. Le capitalisme financiarisé est ainsi un capitalisme mondialisé, marqué par des flux dont la vitesse et le volume sont très inégaux, source d'inégalités de revenus.

D'où, au coeur du fonctionnement de ce capitalisme (et non comme conséquence), une augmentation vertigineuse des inégalités. Aux deux extrêmes : le capital financier sur-rémunéré, le travail non qualifié rémunéré comme un «résidu».

Quelques caractéristiques d'un nouveau modèle de croissance

A la différence de nombre d'économistes, nous estimons que la conception d'un nouveau modèle de croissance (un nouveau mode de régulation ?) ne passe donc pas uniquement ni même centralement par une nouvelle régulation financière même si celle-ci est assurément indispensable. Un nouveau modèle de croissance passe d'abord, comme dans le fordisme, par une définition renouvelée du compromis salarial entre capital et travail. Au coeur de ce compromis se trouvent non plus les gains de productivité mais la capacité à résoudre des problèmes inédits (travailleurs) et à créer des biens et services nouveaux, économes en ressources (entreprises).

Dans un monde dont nous pensons qu'il restera marqué par la mobilité, celle des travailleurs résulte de leur capacité à redéployer leurs compétences. Cette mobilité, qui doit être favorisée par un effort de qualification et une sécurisation des parcours professionnels, est le corollaire nécessaire de celle des capitaux. Il est clair cependant que s'agissant du capital financier, cette mobilité est actuellement excessive. Il conviendra donc de rendre le capital financier liquide et non plus volatile en introduisant des éléments de retardement que ceux-ci soient d'ordre temporel, spatial ou intersectoriel.

Le compromis salarial que nous évoquons se jouera dans l'entreprise et au croisement de différents espaces : national et aussi territorial, continental, mondial.

Un nécessaire changement de paradigme articulant dans le temps long l'économique, le social et l'écologique

Le changement de paradigme économique passe d'abord aujourd'hui par un nouveau compromis salarial croisant compétences reconnues des salariés et innovation des entreprises. C'est en réarticulant l'économique et le social que l'on remettra la finance «à sa place» et non en tentant de la réguler pour elle-même. L'espace temporel de ce compromis est celui du temps long. Ce temps est celui du développement durable.

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