Billet de blog 11 janvier 2017

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Lettre ouverte à Farid Benyettou

Sara K., ancienne condisciple de Farid Benyettou au collège Pailleron, dans le 19ème arrondissement de Paris, vivant aujourd'hui «dans un quartier ultra bourge», a croisé la route du repenti des Buttes Chaumont. Elle juive et lui arabe, ils avaient en commun de ne pas manger de porc… Elle a décidé de lui écrire.

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Hier soir, j'ai regardé Salut les terriens.

Ardisson annonce son scoop:

«Il reçoit le mentor des frères Kouachi, les tueurs de Charlie Hebdo»,

Je vous regarde.

Maintenant que vous êtes habillé à l'occidentale vous ne m'êtes étrangement pas étranger,

Mais je me demande comment moi, vivant dans un quartier ultra bourge, j'ai un rapport avec vous.

Puis, je me souviens que je n'ai pas toujours été bourge et vous pas toujours un émir.

Le point commence à s'éclaircir.

Vous êtes «L'émir des Buttes Chaumont», là où j'ai grandi;

Puis votre tête me devient encore plus familière.

Des brumes sort votre visage d'enfant.

Je cherche sur internet et là je vois que vous êtes né le jour de l'élection de François Mitterrand, ce qui fait 18 mois de moins que moi et que nous étions au collège Pailleron ensemble.

Une classe de moins que moi!

Tout me revient,

Je revois vos cheveux frisés,

Votre pull bleu marine, votre bermuda,

Farid quoi!

Je reste interdite.

Puis, je me demande comment alors que nos chemins se sont croisés, que nous avons reçu la même éducation, nous sommes partis dans des chemins si.... contraires.

Je suis juive, vous êtes musulman.

Mon père est reporter de guerre, vous êtes celui qui a formé des tueurs de journalistes engagés.

Mais à l'époque où nous étions enfants,

Tout ça n'avait pas d'importance.

On a toujours dit que ce qui avait été le lit de la communautarisation, c'était l'exportation du conflit israélo-palestinien,

Je me permets d'en douter.

En effet, enfants nous avons connu des périodes dures de ce conflit: la guerre du Liban, l'intifada de 87, la guerre du Golfe.

Ça n'a jamais été clivant et notre quartier où se mélangeaient familles bobos et immigrés asiatiques et maghrébins le vivait bien.

En tout cas, comme quelque chose qui se passait loin de nous qui n'avait rien à voir avec nous.

Nous, on nous avait dit qu'on descendait des gaulois et c'était déjà suffisamment fastidieux à apprendre alors on ne cherchait pas plus loin,

Et c'est vrai qu'à cette époque on ne voyait pas les différences.

On avait même un point commun:

On ne mangeait pas de porc à la cantine et ça, c'était notre touche d'exotisme par rapport aux «français de souche» qui nous trouvaient cools.

Quand Kouchner nous a dit d'apporter à l'école du riz pour la Somalie, on ne s'est pas demandé si c'était un pays musulman, catho...

Non, on l'a fait car on avait vu ces images d'enfants qui eux étaient différents de nous car ils crevaient de faim.

Bon moi, je me suis quand même démarquée parce que je l'avais fait à la tomate pour que ce soit meilleur !!!

Mais après le collège tout a changé.

Déjà en 3ème, sans trop savoir pourquoi j'ai commencé à traîner plus avec des juifs et vous à vous radicaliser comme on dit maintenant.

Mais c'est surtout l'arrivée au lycée qui a tout changé.

Les plus riches familles sentant le vent tourner, ont envoyé leurs enfants dans de bons lycées, voire à déménager comme moi.

C'était la fin d'une époque, l'ère Mitterrand justement.

On a commencé à entendre que des parents de nos copains étaient au chômage, que les fins de mois étaient difficiles pour certains.

Le quartier s'est dégradé sans doute parce que ceux qui y restaient, y restaient par obligation.

La preuve, on savait très bien que les lycées du quartier étaient des «poubelles» et on faisait tout pour ne pas y aller.

La liberté que vous aviez eue d'aller dans ce collège s'est transformée en obligation de rester dans ce lycée.

On dit que la France vous à tout donné mais je crois que non.

Que c'est le moment où le fameux ascenseur social s'est cassé que les plus faibles sont restés sur le carreau,

Que les moins favorisés sont restés coincés dans les quartiers défavorisés qu'était devenu notre 19 ème.

On vous a ouvert un boulevard pour vos prêches;

C'était désormais facile de montrer aux paumés à quel point ils étaient laissés pour compte et leur faire croire que vous aviez mieux à leur proposer.

Je n'ai pas du tout la prétention de savoir comment fonctionne la radicalisation,

Je ne vous trouve pas d'excuse,

J'aimerais juste que mes enfants ne grandissent pas dans le monde que vous aviez prévu.

Pour ça, il faut voir la vérité en face et la vérité je la pense plus sociale que géopolitique.

Les Buttes Chaumont, c'était notre jardin d'Eden, on y a appris à marcher à faire du vélo, échanger nos premiers baisers,

C'est devenu le nom de votre filière.

Aujourd'hui, vous vous êtes engagé à détricoter ce que vous aviez contribué à tricoter.

Je compte sur vous.

Montrez leur au contraire que tout est possible.

Vous vous êtes pris pour un chevalier Jedi mais souvenez-vous que le vrai Jedi doit affronter ses peurs pour ne pas basculer du côté obscur,

Car à jouer avec les peurs on n'est jamais gagnant.

Que la classe c'est justement de déjouer les plans qui semblaient déjà dessinés.

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