S'il se félicite du succès rencontré par la parole indignée de Stéphane Hessel, Bernard Devert, fondateur du mouvement Habitat et humanisme, craint que celle-ci ne reste sans lendemain. Contre la banalisation de l'exclusion, il en appelle désormais aux actes.
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Le livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous!, fait florès et il y a lieu de s'en réjouir. Plus d'un million d'exemplaires vendus en quelques semaines ; un petit livre pour une grande cause. Si pour autant les drames sociaux demeurent, une mobilisation s'avère néanmoins possible à partir de cette prise de conscience, largement partagée, que trop d'injustices mettent en péril la cohésion sociale.
Toutefois, nous peinons à trouver les conditions et les modalités pour passer d'une dé-création à une création. Indignés, nous le sommes, blessés de rester sans voix face à cette grande clameur des pauvres qui en appelle à notre liberté et à notre responsabilité - «qu'as-tu fait de ton frère» ?
L'indignation naît de l'inacceptable, mais aussi de ce que nous nous sommes habitués à tolérer et que l'on voit resurgir dans les statistiques assomantes de l'exclusion. Il nous faut prendre dans toute leur portée ces chiffres qui pour être têtus, exigent que nous leur opposions notre propre entêtement pour dire radicalement : «non, ça suffit!»
Avec Charles Péguy, concevons que la faute serait d'être des «habitués». La précarité ne se mesure pas seulement à partir de données quantitatives, mais bien à partir de la rencontre des visages dont la grâce permet d'envisager la nécessité d'un changement. Les «oubliés» de la société pour être sans logement, sans travail, sans relations, doivent pressentir et par là même espérer que notre capacité d'indignation est le chemin d'une ouverture. Cette indignation, face à la précarité, doit être ce que l'essai est au rugby : la condition d'une transformation.
Transformer les relations, tel est bien l'enjeu qui suppose que nous sortions de la «mêlée» ou s'entremêlent précisément trop d'intérêts contradictoires. D'aucuns sont sur la touche, d'autres sont touchés. Vient cette heure où un enthousiasme fait que «d'habitués» nous voici «habités» par l'urgence de dépasser l'indignation pour être acteurs de vrais changements.
N'assisterions-nous pas à la naissance d'une humanité qui s'humanise pour passer de mots à une parole actée. Si ce frémissement était sans lendemain alors il nous faudrait tristement considérer que notre indignation n'aurait d'autre finalité que de garder un semblant d'estime de nous-mêmes.