Billet de blog 11 février 2013

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Forum de Davos 2013: «business as usual»

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A Davos, la messe vient d’être dite une nouvelle fois, par les plus puissants d’un monde prétendu globalisé. Après avoir engagé ses convives à agir comme des «administrateurs globaux» pour que chaque sphère d’action soit rendue à la fois plus dynamique et plus «résiliente au risque», le grand prêtre Klaus Schwab a conclu qu’il n’y avait aucune alternative au capitalisme. Après la «formation du monde de l'après-crise» (2009), la «feuille de route pour une croissance durable» (2010), les «normes partagées pour une réalité nouvelle» (2011), «la grande transformation: créer de nouveaux modèles» (2012), la rencontre de janvier 2013 était placée sous le signe du «dynamisme résilient»: il s’agirait désormais de savoir comment résister aux chocs brutaux, s’adapter aux changements soudains, s’en remettre et surtout «poursuivre ces objectifs».

Le contenu de ces concepts rhétoriques ne fait aucun doute: le dynamisme dans la résilience, c’est en fait ce que sont parvenues à accomplir grandes banques et grandes entreprises après le choc réel de la crise de financière de 2007/2008. Les résultats sont là: non seulement les salaires des responsables des grandes banques ont dépassé le niveau atteint en 2006, non seulement les bonus des traders ont rejoint ceux de l’avant-crise, mais surtout la taille du «shadow banking» a fortement progressé: selon le Conseil de stabilité financière (CSF) chargé par le G20 d’empêcher une nouvelle crise, en 2011 les actifs de la «banque de l’ombre» représentaient au Royaume-Uni 370% du PIB et en Suisse 210% alors qu’ils se montaient aux Etats-Unis à la somme incommensurable de 23.000 milliards de dollars (22.000 milliards pour la zone euro), bien plus que la dette souveraine abyssale du pays (largement creusée par l’aide aux banques à la fin de l’ère de Bush Jr).

Dans l’intervalle, sur le plan économique, le fossé entre la rémunération du travail salarié et la rémunération du capital (au bénéfice des actionnaires) ne faisait que s’accroître. Selon les statistiques de l’INSEE, en France, entre le début de 2007 et le début de 2012, les dividendes nets ont progressé de 27,4% contre 6,4% pour la valeur ajoutée et 12,5% pour la masse salariale. C’est dire que la part des profits dans les gains de productivité depuis la récession économique provoquée par la crise financière a connu une augmentation beaucoup plus forte que la récupération salariale. Une fois encore, sous le slogan de la compétitivité (si chère au gouvernement Hollande, en plein accord avec le Medef), prévalent toujours et encore rentabilité et augmentation du taux de profit, au bénéfice des plus riches.

Sans doute n’est-ce pas un hasard si, dans le contexte davosien de 2013, une place de choix a été réservée à Mario Monti. Invité d’honneur, le chef du gouvernement italien n’a pas manqué de se vanter d’avoir imposé à l’Italie non seulement l’inscription de l’équilibre budgétaire dans la Constitution du pays, mais aussi un plan d’économies de onze milliards d’euros (son plan «salva-Italia» prévoit en fait des économies pour 63 milliards dès 2012) ainsi qu’un programme de ventes d’actifs immobiliers, assortis d’un plan de lutte contre l’évasion fiscale de pure façade. De la régulation des banques pas un mot.

N’oublions pas que, ancien commissaire européen, Mario Monti a été récemment membre du comité consultatif de Coca-Cola, conseiller européen pour l’agence de notation financière états-unienne Moody’s et surtout, dès 2005, conseiller international de Goldman Sachs. De ce point de vue, le président du Conseil des ministres italien n’a pas besoin du forum de Davos pour établir des relations de connivence avec Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), lui-même vice-président un temps de la branche européenne de Goldman Sachs; c’était le moment où cette puissante banque d’affaires new-yorkaise avait conseillé la Grèce dans l'utilisation de produits dérivés pour masquer ses déficits budgétaires… Rappelons que la dérégulation des banques, avec les conséquences dramatiques connues en 2007/8, date du choix par Ronald Reagan de Donald Regan, directeur de Merrill Lynch, comme secrétaire au Trésor, c’est-à-dire ministre des finances (1981-1985), puis comme chef de cabinet (1985-1987).

Quant à l'ensemble de l’Europe, il s’agit désormais de consacrer le montage financier pervers qui revient à faire payer aux populations les frais de la crise financière provoquée par la libéralisation des banques et par les spéculations qu'elle a provoquées. Les peuples d'Europe sont contraints de combler le déficit des banques de quatre manières à la fois: en tant que contribuables pour combler l'endettement des Etats appelés à renflouer les banques en quasi faillite (en contradiction totale avec le sacro-saint principe de la «concurrence libre et non faussée»), en particulier par l’augmentation de la TVA; en tant qu’usagers des services publics dont ils sont peu à peu privés par mesures d’«austérité» interposées; en tant qu’épargnants par des taux d’intérêt de plus en plus bas; et finalement en tant que salariés par les «réformes» des conditions de travail imposées par le dogme d’une flexibilité et d’une compétitivité qui relèvent de l’orthodoxie économiste et productiviste la plus stricte.

En fait, à l’échelle planétaire, les rassemblements de Davos sont comparables aux déjeuners du Crillon à l’échelle hexagonale. Le documentaire de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat sur Les nouveaux chiens de garde illustre parfaitement les accords informels mais efficaces que permettent, en dehors de tout contrôle politique et de toute procédure démocratique, ces échanges des richissimes patrons des plus grandes banques et des multinationales les plus puissantes avec leurs fidèles relais parmi les dirigeants politiques, avec leurs idéologues et avec les représentants des médias. Au-delà des concepts insidieusement séducteurs, le résultat tangible en est de juteux contrats d'investissement avec les pays émergents, dans la plus grande orthodoxie néolibérale et dans la plus grande opacité institutionnelle et démocratique… «Business as usual» avec les conséquences catastrophiques d’une croissance envisagée uniquement en termes de consommation et de profit financier –au mépris des conséquences qu’un économisme fondé sur la productivité et la passion du gain est en train d’avoir autant sur l’environnement que sur l’humanité qui en tire ses moyens de survivance.

Il n’y aucune surprise à constater que la messe néolibérale dite hiver après hiver à Davos (transformé pour l’occasion en micro Etat policier) n’envisage rien d’autre que des moyens de résister aux chocs économiques et financiers: ils sont inhérents à un capitalisme entièrement libéralisé, dont les principes mêmes ne sont jamais remis en question.

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