Billet de blog 11 mars 2011

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Insécurié sociale, insécurité politique

Après la publications de sondages favorables à Marine Le Pen, le sociologue Jean-Marc Salmon souligne «l'intensité inattendue de la pré-campagne présidentielle».

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Après la publications de sondages favorables à Marine Le Pen, le sociologue Jean-Marc Salmon souligne «l'intensité inattendue de la pré-campagne présidentielle».

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Depuis 1974, et l'apparition d'une «armée de réserve» de chômeurs, l'électorat désavoue le scénario proposé à l'élection présidentielle. Va-t-il en être ainsi du duel DSK-Sarkozy? Le sortant a un tel retard sur le challenger qu'on nous décrivait la campagne traversée par un long fleuve tranquille. Mais, quand, dans une enquête de taille conséquente, Marine Le Pen passe par-dessus la barre symbolique des 20%, on est conduit à penser que le scénario va se jouer à trois et non pas à deux. Les cantonales seront un test grandeur nature du rebond nationaliste.

Au-delà des électeurs du Le Pen 2002 qui l'avaient abandonné en 2007 et reviennent, déçus du sarkozisme, il reste à comprendre pourquoi le record de 17% pourrait être largement dépassé. Trois ans après la plus grande crise financière et économique depuis 1929, comme dans les années trente, les tendances au repli national et à la fermeture xénophobe prospèrent. L'islam est un nouveau bouc émissaire.

Il y a évidemment une part d'instrumentalisation de la candidature Le Pen par les sondés volatiles comme par les électeurs «indépendants». Ils balancent leur choix comme une boule au milieu du jeu de quilles. Est-ce un spare? Sarkozy renoncera-t-il à se présenter? Un strike? En sus, DSK préférera-t-il les humeurs des maîtres du monde à celles des électeurs? Ou les sondés choisiront-ils bientôt une autre boule pour mieux perturber les milieux politiques?

En 1995, il avait fallu attendre le quatrième mois précédant l'élection pour assister à un renversement en tête. Et, celui de 2002 prit place la veille du jour du vote. L'éventualité que de tels retournements dans les sondages s'opèrent une année avant l'élection présidentielle est surprenante. Comment comprendre l'intensité inattendue de la pré-campagne présidentielle?

Il y a quelques semaines, le même institut signalait qu'une courte majorité de Français était «révoltée». Et, déjà, à la fin octobre 2010, 55% des sondés souhaitait «une grève générale» pour bloquer la réforme des retraites. Voilà pour les subjectivités de la défiance et de l'exaspération. Quant aux conditions objectives, elles n'ont jamais été si bonnes pour les 40 familles du CAC 40 et jamais si mauvaises pour nombre de nos concitoyens. Fort opportunément, l'Insee nous apprend qu'un quart des salariés, les plus mal lotis, aurait une rémunération salariale inférieure à 750 euros par mois et qu'un Français sur cinq a connu une période de pauvreté! On sait maintenant que la statistique du chômage, qui flirte avec les 10% de la population active, est la partie émergée d'un iceberg dont les dimensions jusqu'alors invisibles sont bien plus larges. Voilà le fruit amer des CDD mis en place dans les années 70 et des petits boulots dans les 90, de la lutte prolongée contre les rigidités du marché du travail prônée par l'OCDE.

L'insécurité sociale revient comme un boomerang et provoque de l'insécurité politique. Le déficit des «partis de gouvernement» tient autant au bilan social que national des quatre dernières décennies. Depuis qu'en 1972, les groupuscules nationalistes se sont unis pour faire pièce au risque soixante-huitard, le FN est posté sur les créneaux de la dénonciation du «mondialisme», du marxisme, de la puissance américaine et de l'immigration. Alors, on l'entendait peu. Jean-Marie Le Pen ne put être candidat en 1981. C'était l'époque où les gaullistes vilipendaient l'Otan et où les socialistes nationalisaient les «féodalités» économiques et financières. Est-il si surprenant que la voix du FN porte de plus en plus quand les néogaullistes et les néosocialistes se sont voulu les stratèges d'une «mondialisation heureuse» et régulée?

La percée de Marine Le Pen conduira-t-elle ses adversaires à débattre? Comment le monde du travail peut marquer des points contre la finance alors qu'on a construit l'atelier du monde en Chine? «Réindustrialiser», certes, mais comment l'Europe et la France peut retrouver plus de marges de manoeuvre? Une autre mondialisation est-elle possible? Une personnalité des élites politiques peut-elle surprendre l'électorat?

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