« Le débat sur les retraites ne peut se limiter à combler un trou financier », explique Delphine Mayrargue, secrétaire nationale du PS à la formation. La dimension sociale et la dimension culturelle portées par l’enjeu des retraites doivent être clairement mesurées et le débat s'inscrire dans un réel choix de société, sur le temps long, plaide-t-elle.
Le choix de la question et de l’entrée dans le débat ne sont pas neutres. Un questionnement de gauche recherche le progrès. Comment notre système de retraite peut-il faire progresser la société et lutter contre les inégalités sociales, générationnelles et de genre ?
Affirmer avec autorité que « la durée de vie augmente, donc la durée de travail doit augmenter », c’est clore le débat. Le bon sens est l’ennemi politique de la gauche, la simplification un danger intellectuel qui nous menace. Loin de la complexité humaine et sociale, elle rend automatique et mécanique les solutions. L’on parle de « durée » ou « d’espérance » de vie, tout se mélange, tout se vaut. Et tant pis si cette durée, ou son espoir, est à vivre ou à rêver, en bonne ou mauvaise santé. Il faut aller vite, employer un mot ou un autre, quelle importance ! L’importance de la réalité humaine face à la mécanique et à l’automaticité des arguments.
C’est dans la longue durée que les socialistes s’inscrivent. Le temps long, celui qui permet aux femmes et aux hommes de se projeter dans le futur, est le temps de la gauche et du progrès. Pour agir en profondeur sur la société, la gauche a besoin de symboles forts : congés payés, retraite à 60 ans, réduction du temps de travail ou mariage pour tous. La gauche a besoin de temps pour que la société s’approprie ces évolutions, qu’elles deviennent son patrimoine commun et une part de son identité. C’est pourquoi le débat sur les retraites ne peut se limiter à combler un trou financier (ou alors, simplisme pour simplisme, on trouve l’argent avec la lutte contre la fraude fiscale et le débat est clos). Il ne peut se limiter à des incantations du genre « on ne peut pas laisser des dettes aux générations futures », c’est oublier que l’on transfert d'abord des valeurs, une protection sociale et des infrastructures. Les générations futures, ce sont les enfants dont les parents sont aujourd’hui privés d’emploi et qui éprouvent déjà dans leur quotidien l’injustice. Ne leur en rajoutons pas !
Penser dans la longue durée c’est résister à la domination des indicateurs, du quantitatif et de l’immédiateté, c’est, en prenant de la hauteur, gagner en liberté et en audace. Il est à noter que l’argument des générations futures, vision abstraite des femmes et des hommes, est employé par ceux dont l’horizon est prisonnier du court terme. Au nom de la crise actuelle, des 3 % ou autres indicateurs, on devrait priver ces fameuses générations du progrès social, rogner leurs droits et défaire les fils de la protection sociale….
Le débat actuel s’inscrit dans un contexte de chômage élevé ; en hausse chez les séniors, proches de la retraite mais qui y arriveront difficilement (financièrement et parfois même en mauvaise santé du fait du chômage et de la précarité) ; un chômage très élevé chez les jeunes dont la perspective d’une retraite décente s’éloigne en l’absence d’emploi et donc de cotisations sociales. Notre présent est aussi marqué par une extension de la pénibilité. Celles et ceux qui exercent des métiers pénibles doivent partir plus tôt, même si ces pénibilités sont à prendre en charge tout au long de l’activité professionnelle. La retraite n’est pas une compensation, ni une réparation. Les évolutions du travail le mettent aujourd’hui sous pression et marquent de nombreux salariés, notamment parmi les cadres, quel que soit l’intérêt qu’ils portent à leur travail. Cette réalité doit être entendue.
Nous devons bien mesurer la dimension sociale et la dimension culturelle portées par l’enjeu des retraites. C’est à nous de dire qu’il n’y a pas qu’une question convoquant une réponse unique, mais un réel choix de société, de projet partagé et de rapport au futur. C’est un travail de conviction à mener pour contribuer à enrichir le patrimoine d’idées et de valeur qui bâtit et définit notre société.
Delphine Mayrargue, secrétaire nationale du PS à la formation