Lettre ouverte d'élus écologistes de Paris à Anne Hidalgo, à propos de l'accueil des migrants du boulevard de la Chapelle. « Vous avez annoncé la création d'un centre d'accueil et nous nous en félicitons. Mais en attendant la mise en place de ce ou de ces lieux, Il est urgent que des structures d’hébergement collectif soient ouvertes dans notre ville. Nous en avons les moyens. »
Madame la maire, en octobre 2013, vous décriviez, dans Libération, Paris comme une « ville-monde », une ville « où chacun peut trouver un toit ». Nous partageons avec vous cette vision : de par son histoire, de par son rayonnement, Paris a un rôle singulier d'accueil et de refuge aux yeux de toutes celles et tous ceux qui vivent les persécutions et subissent les violences.
Ce n’est pas seulement une responsabilité symbolique, c’est un devoir que l’Histoire et notre statut de démocratie nous imposent. Aujourd’hui, des millions d'êtres humains fuient leur pays et leur foyer, souvent dans la Corne de l’Afrique, notamment d’Érythrée, mais aussi en provenance de Syrie ou d’Irak, pour échapper à la guerre, à la misère et à des conditions de (sur)vie que ni vous ni nous ne pouvons ne serait-ce qu’imaginer. Ils parcourent des milliers de kilomètres pour rejoindre ce qu’ils voient comme la seule issue possible, une ultime bouée pour ne pas sombrer. Certains atteignent Paris, dans la perspective d’y rester et de s’y reconstruire, ou pour y faire escale avant de terminer leur périple en Angleterre ou en Europe du Nord et se reconstruire une vie.
Depuis plusieurs mois, des réfugiés se sont regroupés boulevard de la Chapelle et sous le pont d’Austerlitz. Malgré l'aide apportée par les associations et les riverain-es, leurs conditions de subsistance sont indignes du pays des droits de l’homme et de sa capitale.
Avec votre adjointe, Dominique Versini, nous savons que vous avez cherché des solutions de prise en charge. Mais ces efforts ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. En décidant d'évacuer les réfugié-es, la Préfecture n'a fait aggraver la situation, ajoutant à la détresse de ces gens la violence d'une décision absurde. Depuis une semaine, nombreux sont ceux qui n’ont pas été pris en charge. Éparpillés dans plusieurs communes d’Île-de-France, certains sont parvenus à regagner Paris et dorment dans un jardin partagé du 18e arrondissement. Les consignes de la Préfecture et les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les dispersions successives ont ému la France entière et suscité un élan de solidarité dans le quartier qui honore notre Ville. Aujourd’hui, ils sont de nouveau sans aucune solution autre que la rue et, qui plus est, dans une situation sanitaire très dégradée, une épidémie de galle s’étant d’ores et déjà déclarée.
De nombreuses et nombreux élu-es, militant-es de terrain, associations, riverain-es, s'activent pour parer au plus urgent et leur venir en aide, mais vous le savez comme nous, cette situation n’est pas tenable. Madame la Maire, Paris est une ville-monde et vous ne pouvez pas rester sans rien faire.
Vous avez annoncé la création d'un centre d'accueil et nous nous en félicitons. Mais en attendant la mise en place de ce ou de ces lieux, Il est urgent que des structures d’hébergement collectif soient ouvertes dans notre ville. Nous en avons les moyens. De nombreux lieux sont vides à Paris, au moins temporairement. Utilisons les bâtiments désaffectés en attendant les travaux. Ces lieux existent, ils sont disponibles immédiatement et il ne sera pas nécessaire d’y faire des travaux d’ampleur pour pouvoir accueillir ces personnes dans des conditions décentes. Pour y accueillir les réfugié-es du Bois Dormoy ou encore ceux du campement du pont d'Austerlitz et donner un visage à cette ville-monde à laquelle nous aspirons. Car une ville-monde, c’est aussi une ville-refuge et nous nous devons d’accueillir, d’accompagner et de prendre en charge celles et ceux qui ont vu en Paris une terre de répit. Une ville-monde, ce n'est pas une ville qui réduit celles et ceux qui n'ont rien à des ombres oubliées, c'est une ville qui tend la main à toutes et à tous, dans la dignité et le respect. Une ville-monde, c'est une ville de tous les mondes.
Cette décision est une exigence. Nous n’avons pas le droit d’envoyer celles et ceux qui ont choisi notre ville comme refuge en très grande couronne, où les réseaux associatifs sont trop peu nombreux et dans des endroits qu’ils ne connaissent pas. Ce n’est ni digne ni responsable : c’est absurde. En dispersant la misère, on ne la résout pas, au contraire, on l’accentue. Loin d’être des « Sangatte » bis, ce doit être une ou plusieurs petites structures adaptées et à visage humain.
À plus long terme, en lien avec l’Etat, dont nous n’avons cessé de pointer du doigt la responsabilité depuis plusieurs semaines, mais également avec les associations dans toute leur diversité, nous devons travailler de manière partenariale pour anticiper des situations qui ne manqueront pas de se reproduire. La question que pose le campement du pont d’Austerlitz ne doit pas se résoudre par une évacuation supplémentaire : nous devons quitter cette logique in fine obscène qui consiste à détruire les solidarités quand il s’agirait de s’y associer pour assumer avec fierté aujourd’hui ce que vous, Madame la Maire, revendiquiez hier pour Paris : être une ville-monde.
Signataires :
David Belliard, coprésident du Groupe écologiste de Paris; Galla Bridier, conseiller de Paris écologistes, élus du 18e arrondissement; Pascal Julien, conseiller de Paris écologistes, élus du 18e arrondissement; Anne Souyris, coprésident du Groupe écologiste de Paris.