Billet de blog 11 octobre 2012

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Les médecins pigeons se trompent de combat

«La revendication sur la rémunération ne peut être légitime que si elle n’entre pas en contradiction avec le principe de l’égalité d’accès aux soins», estiment Clément Lazarus, interne en santé publique et médecine sociale, et Pierre de Maricourt, interne en psychiatrie. «Entre revendications légitimes des médecins et responsabilité de l’Etat vis-à-vis de tous les citoyens, il y a une place pour une discussion de bonne foi.»

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«La revendication sur la rémunération ne peut être légitime que si elle n’entre pas en contradiction avec le principe de l’égalité d’accès aux soins», estiment Clément Lazarus, interne en santé publique et médecine sociale, et Pierre de Maricourt, interne en psychiatrie. «Entre revendications légitimes des médecins et responsabilité de l’Etat vis-à-vis de tous les citoyens, il y a une place pour une discussion de bonne foi.»


Les « pigeons » font des petits. Surfant sur la vague d’un buzz politiquement orienté mais rondement mené et qui aura réussi à faire étrangement plier le gouvernement en quelques jours, les médecins refusent « d’être des pigeons ». Les motifs de ce mouvement d’humeur, qui pourrait bien se transformer rapidement en mouvement de grève ? Les projets avancés par le gouvernement de limiter l’installation des médecins en secteur II dans certaines zones et le plafonnement des dépassements d’honoraire.

Le revenu médian des médecins français, quelle que soit la spécialité considérée, est largement supérieur au revenu médian des Français. Il n’est cependant pas anormal que les médecins soient bien, voire très bien rémunérés, compte tenu de la longueur des études médicales et de l’utilité sociale de la profession. Pour autant, on ne peut qu’être abasourdi devant la médiocrité de la défense aveugle des dépassements d’honoraires, telle qu’elle est mise en avant dans l’argumentaire des syndicats. C’est se tromper profondément de combat. La revendication sur la rémunération ne peut être légitime que si elle n’entre pas en contradiction avec le principe de l’égalité d’accès aux soins. Dans un pays où 15,4 % de la population adulte déclarent avoir renoncé à des soins médicaux pour des raisons financières au cours des douze derniers mois, les dépassements d’honoraires apparaissent de plus en plus comme une hérésie libérale, une anomalie historique comme seul notre pays en a le secret.

Dans le système actuel, la seule solution pour réduire les dépassements d’honoraire tout en garantissant aux médecins une rémunération d’un niveau égal serait de revaloriser de manière significative les tarifs de la Sécurité sociale. L’assurance maladie a fait certaines propositions en ce sens mais il faut se rendre à l’évidence, les caisses vides et la période de contrainte budgétaire qui nous est imposée rendent impossible l’effort nécessaire pour s’engager dans cette voie. 

On le sent bien, la médecine de ville à la française est en crise. Le vieux tarde à mourir et le jeune hésite à naître, selon la formule de Gramsci. Entre revendications légitimes des médecins et responsabilité de l’Etat vis-à-vis de tous les citoyens, il y a une place pour une discussion de bonne foi. Le dialogue doit s’engager.

On sait toutes les imperfections de la rémunération à l’acte, système inflationniste, poussant à la prescription et faisant pression à la baisse sur la rémunération des médecins de par les revalorisations insuffisantes des actes. C’est d’ailleurs un système dont les jeunes médecins se détournent en masse, lui préférant le confort du salariat. Certains le regretteront. C’est surtout une évolution qu’il faut prendre en compte pour en faire un levier du changement.

L’évolution des modes de rémunération est possible vers une tarification mixte avec une part principale à la capitation et une part réduite de tarification à l’acte pour les actes techniques et les consultations ponctuelles. La rémunération à la capitation, par patient et non plus pour chaque acte, existe déjà, au moins en principe, dans le dispositif du médecin traitant. Ce mode de rémunération doit être renforcé et diversifié. Il a en effet l’avantage de pouvoir être utilisé pour améliorer la prise en charge des personnes défavorisées. Introduire une rémunération à la capitation pour les personnes bénéficiant de la CMU/CMUC a trois avantages : d’une part réduire les refus de soins subis par les bénéficiaires de la CMU, d’autre part encourager les médecins à œuvrer pour l’accès au droit des personnes éligibles à la CMUC, enfin rétribuer la prise en charge des personnes ou des familles en situations sociales complexes, souvent chronophages pour les médecins. La possibilité de salariat au sein de petites structures type maisons pluridisciplinaires de santé doit également être facilité et encouragée. A cet égard, les propositions faites par 24 médecins issus de la twittosphère sont à regarder avec attention. Une telle réforme en profondeur, pour être acceptable, doit être de mise en place progressive. La généralisation de ces dispositifs ne peut passer que par une étape transitoire plus ou moins longue où différents statuts pourront coexister.

De même, vouloir envoyer les jeunes médecins dans des zones où l’ensemble des services publics reculent alors qu’ils ont réalisé l’ensemble de leurs études dans les grandes villes (effet pervers de l’hospitalo-universitaro-centrisme de la réforme de 1958) crée un sentiment d’injustice qui n’est pas illégitime. On comprend mal d’ailleurs pourquoi les jeunes générations devraient faire les frais de l’inconséquence de 30 ans de gestion à vue de l’offre de soins de ville dans notre pays. Pour autant, la responsabilité de l’Etat est double sur cette question : il doit assurer l’égal accès aux soins de tous les citoyens (ce qui relève plus de l’aménagement du territoire que de la santé publique) dans le but de préserver voire améliorer l’état de santé de la population (ce qui, cette fois, relève pleinement de la santé publique). 

L’organisation de l’égalité d’accès territoriale aux soins pour tous les citoyens nécessite aujourd’hui que soient prises des mesures volontaristes. Aujourd’hui, le problème de l’accès réel aux soins est posé. Demain, ce qui est aujourd’hui une question d’égalité entre les territoires pourrait bien devenir un problème de santé publique si rien n’est fait pour y remédier. Un effort supplémentaire des professionnels de santé est donc nécessaire mais il ne peut être acceptable et compris qu’à condition qu’il soit juste, proportionné à la situation sanitaire réelle, partagé par tous et accompagné de mesures visant à faciliter leur installation.

La mise en place de Schémas régionaux d’organisation des soins ambulatoires opposables définissant les zones où peuvent s’installer les nouveaux médecins et là où ils ne le peuvent pas permet que la coercition ne soit pas individualisée en envoyant tel ou tel là où il ne le souhaite pas, mais soit une mesure d’aménagement du territoire. Mais ce n’est pas à la seule jeune génération de payer les inconséquences des années passées. Les médecins déjà installés doivent aussi participer à ce formidable défi de la reconquête des territoires désertifiés. Et puisque le gouvernement semble vouloir avancer sur le sujet en définissant des zones où l’installation en secteur 2 ne sera pas possible, alors il faut qu’il aille jusqu’au bout en demandant aux médecins libéraux déjà installés en secteur 2 de participer au service public de la santé en assurant des vacations dans les zones sous dotées. Des sommes folles ont été provisionnées pour des dispositifs d’incitation financière à l’installation qui ont tous été des échecs. L’incitation ne peut être financière, au risque de systématiquement échouer à être efficace. Elle doit être une incitation de proximité, en donnant les moyens aux collectivités locales d’organiser, au cas par cas, les conditions favorables à l’installation d’un nouveau médecin.

Il y a la place, dans ce quinquennat qui tarde à naître sur les questions de santé, pour un nouveau compromis historique refondant la médecine de ville. Ce compromis doit s’articuler autour de trois axes forts : réforme profonde des modes de rémunération des médecins, subordination de la liberté d’installation aux impératifs d’aménagement du territoire, répartition de l’effort entre tous les acteurs et toutes les générations de médecins.

Commencer par vouloir réduire les dépassements d’honoraires, c’est, pour le gouvernement, agiter un chiffon rouge sans régler le problème de fond que constitue le paiement à l’acte en médecine de ville. Défendre le dépassement d’honoraire et la liberté d’installation dans une conception toujours plus libérale, c’est révéler une conception profondément corporatiste et réactionnaire du syndicalisme médical. Les organisations qui portent ces revendications en portent également la responsabilité. Et pour longtemps.

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