Billet de blog 11 octobre 2015

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Inondations à répétition: quelles décisions?

Quatre enseignants de l'Université de Tours, Mathilde Gralepois, maître de conférences, Lisa Levy, ingénieur de recherche, Thomas Schellenberger, ingénieur de recherche, et Jean-Baptiste Tremorin, ingénieur d’études, livrent une analyse de la situation en matière de politique de prévention des risques d'inondation en France.

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Quatre enseignants de l'Université de Tours, Mathilde Gralepois, maître de conférences, Lisa Levy, ingénieur de recherche, Thomas Schellenberger, ingénieur de recherche, et Jean-Baptiste Tremorin, ingénieur d’études, livrent une analyse de la situation en matière de politique de prévention des risques d'inondation en France.


Le très lourd bilan des inondations qui viennent de frapper les Alpes-Maritimes, 20 morts et d’innombrables dégâts, n’a malheureusement rien d’exceptionnel. Les inondations touchent régulièrement plus de 16 000 communes françaises, elles tuent des dizaines de personnes et affectent à coup de millions les communes et leurs habitants. Le phénomène météorologique des derniers jours, par son intensité, est présenté comme rare et, de fait, difficilement prévisible par Météo-France. Ses conséquences, elles, sont-elles pour autant vraiment inattendues ?

Avec les outils techniques disponibles et les imposants pouvoirs des autorités publiques en matière de risque naturel, comment expliquer la répétition des scénarios catastrophes ? Comment expliquer que les inondations soulèvent toujours autant l’indignation et l’incompréhension des riverains et des pouvoirs locaux ? L’histoire des territoires, leurs configurations géographiques, mais aussi les choix politiques, économiques et surtout urbanistiques, permettent d'éclairer les causes des inondations, leurs conséquences... et surtout, de les réduire.

Le maintien des solutions techniques malgré l’absence de « risque zéro »

Malgré une décennie de discours sur « le risque zéro n’existe pas », les pouvoirs publics s’obstinent à développer des moyens techniques et des infrastructures collectives de maîtrise de l’aléa inondation (les constructions de nouvelles digues à Nice et dans toute la région, ou les bassins de rétention à Biot). Pourtant, aujourd’hui, ces infrastructures sont largement remises en cause du fait de l’aggravation des risques en cas de rupture, de leur incapacité à se prémunir contre des événements absolument exceptionnels et du sentiment de sécurité qu'elles engendrent, diminuant la vigilance des habitants. La gestion des cours d'eau doit s'adapter afin de (re)donner à la rivière l'espace nécessaire pour faire face aux crues les plus violentes.

Les dynamiques des cours d’eau ignorées et les risques peu mis en avant

Les cours d’eau évoluent constamment et nous contribuons nous-mêmes à leurs transformations. Or, les inondations pourraient bien s’amplifier sous les effets conjugués du changement climatique et de la croissance urbaine. Si les constructions dans le lit des rivières sont aujourd'hui des exceptions, nos modes d'utilisation du sol contribuent pour beaucoup à produire des catastrophes pas si naturelles que ça : imperméabilisation, risques dus à l’aménagement des zones amont, agriculture mono-sectorielle et intensive… Mais surtout, le mouvement observé de retour vers le fleuve et les littoraux montre que le fleuve est perçu comme un attribut événementiel et touristique très éloigné des risques. Nice ou Cannes ne font pas figure d’exception. 

Le poids des réseaux urbains : les inondations sont surtout indirectes

Dans nos villes toujours plus interconnectées, lorsque transport, téléphone, eau, électricité sont touchés, c'est tout notre quotidien qui est perturbé. Or, par l'imperméabilisation qu'ils induisent, leur dimensionnement, les réseaux sont ainsi souvent au cœur des causes et des conséquences de l'inondation. Car si la crue est due aux débordements de cours d’eau, aux pluies ou aux submersions, les inondations sont aussi et surtout liées à la saturation des sous-sols (urbains, agricoles et naturels) et des réseaux d'eau et d'assainissement.

L’urbanisation en zone inondable : le jeu des marges

L’urbanisation perdure partout en zone inondable, non pas illégalement en outrepassant les règles de prévention, mais en les interprétant a minima, en développant la ville aux franges des zones non définies comme inondables, et en délivrant des permis de construire en périodes d’incertitude règlementaire. Onze années de négociations ont été nécessaires à l’élaboration du plan de prévention des risques de la basse vallée du Var. Bref, on assiste à une quasi-absence de réflexion élargie à l’échelle du territoire. Les grands projets de développement urbain dans la région (projet Ecovallée de la Métropole niçoise notamment) révèlent à quel point c'est le risque d’inondation qui doit s’adapter au développement urbain et non l'inverse. Inexorablement, la vulnérabilité du territoire augmente.

Le risque, les intérêts institutionnels et la démocratie

L'articulation de l'action de l'Etat et des communes en matière de prévention (par la planification urbaine notamment) doit être améliorée. Les derniers textes (directive européenne de 2007 et loi MAPAM de 2014) ne suffisent pas à clarifier les compétences de chacun ni à assurer la coordination de l'action publique. La réflexion et la discussion sur les risques existants, les travaux d'adaptation possibles, la politique associée de gestion des cours d'eau... doivent être approfondies. Et surtout s'ouvrir à une concertation large et nourrie, gage de l'implication des élus comme de leurs concitoyens. Le risque est de moins en moins acceptable, mais surtout, il n’est absolument pas débattu par les pouvoirs publics entre eux et avec leurs administrés. Dans l’aménagement de la basse vallée du Var par exemple, la concertation publique ouverte sur l’acceptabilité du risque fait largement défaut.

L'insuffisance de la conscience du risque

La conscience des risques naturels pourrait facilement trouver sa place dans la mise en valeur des terrains inondables (parcours pédagogiques et éducation à l’environnement), mais aussi et surtout dans une information préventive complète (animation, réunion publique, etc.), avec notamment la mise en place des repères de crue ou avec l’intégration de l’inondation dans les formes urbaines. Enfin, l'ouverture de débats dans le cadre de la construction de projets de territoire, posant clairement la question des risques naturels, seraient l'occasion de construire, ensemble, l'avenir de ces territoires où il faut apprendre à vivre avec le risque.

La catastrophe révèle l’approche réparatrice face aux risques

Les réactions dans la presse des principales parties prenantes : une vision du risque frappée d’un coté, par un certain fatalisme de la catastrophe dite « naturelle » (évacuant les causes très peu « naturelles » des événements); de l’autre, par le fait de se reposer sur le système des indemnisations. La réparation apparaît encore au coeur de la légitimité du système français de gestion de risque. Il s'agit de s'appuyer désormais sur une mise en question des politiques de développement, épineuse mais nécessaire pour construire une posture pro-active face aux risques.

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