Billet de blog 12 septembre 2012

henri pierre jeudy

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L'effet bobo

«Le bobo aime la communauté villageoise. (...) On pourrait croire à une régression, nostalgique du temps où chaque coin de Paris apparaissait comme un village, il s’agit plutôt d’une enclave à partir de laquelle la contamination de la “ boboïsation ” est en mesure de se poursuivre.» Par Henri-Pierre Jeudy, sociologue, philosophe, éditeur.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

«Le bobo aime la communauté villageoise. (...) On pourrait croire à une régression, nostalgique du temps où chaque coin de Paris apparaissait comme un village, il s’agit plutôt d’une enclave à partir de laquelle la contamination de la “ boboïsation ” est en mesure de se poursuivre.» Par Henri-Pierre Jeudy, sociologue, philosophe, éditeur.


Les bobos se regardent les uns les autres, ils ne s’épient pas, ils s’apprécient mutuellement. Ils illustrent ce qui est le plus en vogue : le « vivre ensemble ». Ils ne peuvent plus se passer les uns des autres. Sur la même portion de territoire, ils mettent en scène leur amour propre dans ce miroir que leur offre une parcelle de l’espace public. Ils s’échangent de l’échange en souriant chaque jour sur la même terrasse de bistrot. Le bobo aime la communauté villageoise. C’est son modèle favori. Il faut que le secteur dans lequel il vit fasse village. On pourrait croire à une régression, nostalgique du temps où chaque coin de Paris apparaissait comme un village, il s’agit plutôt d’une enclave à partir de laquelle la contamination de la boboïsation est en mesure de se poursuivre. Un pur artifice qui semble plutôt construit sur le modèle du village de vacances où l’on ne cesse de « faire connaissance ». Sans doute est-ce une manière de supprimer la vieille distinction entre le temps de travail et le temps des loisirs puisqu’il s’agit bien de préserver un parfum éternel de vacances. La ville, c’est l’anonymat, ce que déteste le bobo. Pour lui, l’appartenance à un territoire se vit au jour le jour comme l’expression d’un désir de communauté qui anéantit la peur de la solitude.

Les bobos sont heureux de partager leur territoire avec d’innombrables artistes qui semblent louer à leur manière le même idéal de vie. « Nous sommes tous des artistes de la vie » pensent-ils sans avoir besoin de se le dire. C’est la vie qui s’affiche comme objet d’art dans un monde où le triomphe de la globalisation anéantit la singularité. Elle est belle en soi car elle expurge la morosité d’une société dont le changement attendu viendra en partie de la victoire des bobos. Ils ont ainsi acquis le pouvoir de réflexivité nécessaire à l’idéologisation de leurs modes de vie : comme ils ne se désignent pas comme tels, ce qui les caractérise ne viendrait que du regard de l’autre. Si le bobo reconnaît publiquement qu’il est un bobo, c’est toujours avec un sourire qui montre qu’il n’est pas dupe du sens que prend la désignation. Son intelligence est de montrer qu’il sait jouer à « être bobo ». Une véritable machine de guerre à produire un conformisme de bon aloi. Le bobo serait le survivant de la mort des idéologies, le zombie de mai 68.

Producteur attitré du lien social, il reconstitue la scène sociale au gré d’une pacification territoriale. Sans doute deviendra-t-il un trésor vivant du patrimoine urbain. Les territoires des bobos sont-ils destinés à être circonscrits comme des réserves indiennes où on les verra vivre, beaucoup plus tard, tels les survivants des villes sans visage ? Contrairement à ce que disent certains sociologues, les bobos ne forment pas une nouvelle tribu, ne serait-ce qu’à cause de la puissance de propagation des modèles de leur comportement. Le trompe-l’œil de leur pseudo-marginalité est leur virus. Ils cultivent leur similitude comme l’arme de leur différence. Leur ressemblance les autorise à produire la figure contemporaine de l’altérité comme effet d’un clonage : l’autre, c’est nous.

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