Sylvia Ringenbach, «citoyenne», répond, dans une lettre ouverte au président de la République, aux attaques de Laurent Wauqiez contre «les assistés» bénéficiant du revenu de solidarité active (RSA), qu'il a récemment nommé «cancer de la société».
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67 % des Français seraient favorables à l'idée d'exiger des contreparties de la part des titulaires du RSA (Sondage OpinionWay pour Le Figaro, 12 mai 2011); c'est ce qui compte! Je doute cependant que les jolies interventions de votre «talentueux» ministre des affaires européennes ne vous amène aux 67 % d'opinions favorables le mois prochain.
Permettez-moi donc, monsieur le président, de vous apporter ma modeste contribution de la «France d'en bas, du milieu ou d'ailleurs» qui ne pourra que compléter les avis de vos habiles et brillants conseillers.
L'impuissance n'a rien à voir avec la paresse, monsieur le président. La misère n'est rien sans l'humiliation. Ceux qui «sont au RSA» et qui partagent encore des dîners avec des amis sans le cacher plombent une soirée en deux temps trois mouvements! Pire que s'ils annonçaient leur cancer!
Le cancer justement: depuis que j'ai entendu monsieur Wauquiez enfoncer le couteau dans la plaie de la honte de ceux «qui sont au RSA» (tout auréolé de son élégant dynamisme de ministre talentueux -dixit Monsieur Fillon), je sais que je vais vous écrire. Et si cette missive pouvait être publique ce serait encore mieux...
Les soins palliatifs ne sont pas la cause du cancer, monsieur le président. Le cancer qui nous ronge, les membres de votre entourage l'affichent en bannière, fiers de cette société où celui qui ne gagne pas est celui qui n'a rien fait pour gagner. Le cancer qui nous ronge, ces mêmes ministres en portent le drapeau en désignant les écartés plutôt qu'en combattant ce qui les exclut. Le cancer qui nous ronge a effacé des frontons –que certains de votre équipe ne regardent même plus– les trois mots qui devraient guider la République dans la jungle du capitalisme et de la mondialisation.
Les ministres de la République ne sont pas là pour «dire tout haut ce que beaucoup de Français pensent tout bas». Votre premier ministre n'est pas là pour nous dire si le RSA est une «bonne» ou une mauvaise mesure ou pour rattraper les gaffes politiques des collaborateurs que vous lui avez «mis dans les pattes». Il est là pour mesurer et améliorer l'efficience des mesures mises en place. Le RSA, monsieur le président, «c'est la honte» comme disent les enfants. C'est «la honte» pour ceux qui en portent l'étiquette et essaient de sortir du tunnel en se cachant parce qu'ils bénéficient des «largesses» de l'État. Et monsieur Wauquiez, votre ministre, en «a rajouté».
Vos ministres auraient dû, pour rendre cette mesure efficiente, travailler ardemment à valoriser la bataille que mènent au quotidien ces centaines de milliers de titulaires du RSA pour redevenir des acteurs économiques à part entière, pour ne pas s'isoler dans la honte et la culpabilité, pour ne pas devenir des assistés...
Oui, les titulaires du RSA TRAVAILLENT à leur rétablissement social! Ils sont devenus des experts des dossiers à 10.000 cases, des «pros» du système administratif français de «solidarité», à qui il ne reste que quelques heures pour rechercher un emploi. La question n'est pas de connaître les sommes dépensées, les sommes allouées. La question n'est pas de discuter indéfiniment de la pertinence de la mesure mais de son efficience. La question est de défendre le respect de ces citoyens et encore plus de leur redonner leur honneur.
Au lieu de cela, vos ministres –quand ils sont plus spontanés que politiques– laissent affleurer des valeurs dont on ne peut que penser que vous les partagez; ils proposent leur brillante police à d'autres États pour mater des peuples en révolte, ils désignent de pauvres étrangers envahisseurs comme le danger premier de notre République, ils enfoncent dans la honte les milliers de victimes françaises de la crise mondiale que l'État tente, avec le RSA, de tenir hors de la misère totale et de remettre sur le chemin de l'honneur d'un travail rémunéré...
En un mot, vos ministres portent des valeurs qui divisent; vos ministres portent des valeurs qui les exonèrent de leurs responsabilités en désignant des boucs émissaires (des assistés, des immigrés, parfois et plus rarement des riches qui gagnent plus de 3 millions d'euros, etc.).
Ils vous porteront pourtant et peut-être au pouvoir dans quelques mois.
Les peuples du monde, les citoyens d'Europe, les Français ne savent plus quoi manger, ne savent plus qui admirer, ne savent plus qui croire, ne savent plus quoi acheter, ne savent plus quoi penser... l'enjeu est là. Rappelez-vous, monsieur le président, un homme a un jour été élu en France en affichant clairement des valeurs, une idée (l'abolition de la peine de mort) contre l'avis de 80% de ses électeurs potentiels. Ce n'est pas de cet homme dont nous avons la nostalgie.
Nous aspirons à des valeurs, monsieur le président; de celles qui ont fait et font notre culture et notre histoire, de celles qui savent parfois sans naïveté transcender le peuple dont nous faisons partie dans une union magique: la responsabilité, le partage, la tolérance, la générosité, la liberté, la révolte, la justice (j'aurais pu faire plus court: «liberté, égalité, fraternité»).
A moins que n'apparaisse sur la scène publique une personne désirant suffisamment le pouvoir tout en portant de telles aspirations, vous resterez probablement à la tête de notre pays malgré «les gaffes» de votre entourage et vos valeurs –parfois vaguement teintées de compassion– surgies du terroir de Neuilly.
C'est donc à nous, citoyens, de prendre nos responsabilités en vos lieux et place. Et nous le ferons.