Delphine Mayrargue, secrétaire nationale du Parti socialiste à la formation, se félicite de l'organisation d'un forum consacré au progrès, le 23 novembre au CNIT Paris-La Défense, « au moment où nous nous interrogeons sur l'horizon de la gauche ». Pour elle, « le progrès, c’est le choix de l’ouverture, de la diversité, du mouvement ».
Le Parti socialiste a pris l’heureuse initiative d’organiser un forum consacré au progrès. Ce forum est bienvenu au moment où nous nous interrogeons sur le cap politique actuel ou, pour le dire autrement, sur l’horizon de la gauche. Nous avons parfois du mal à identifier l’objectif fondateur et fondamental du quinquennat. Trop souvent on semble confondre la fin et les moyens, ce qui abaisse le débat. Ainsi en va-t-il des objectifs en matière de politique économique. La mise en exergue d’un « ras-le-bol fiscal » revient-elle à faire de la baisse des impôts une ambition ? Cela ne saurait définir un horizon, ni même une parcelle de cet horizon, et ce encore moins pour la gauche.
Ce forum doit rappeler que les engagements, les batailles et les mots ont un sens. Le progrès dit le mouvement et la marche en avant. Une société qui ne progresse pas en émancipation individuelle, en humanité collective, en justice, en ouverture au monde, régresse. Elle régresse en s’atrophiant, en se repliant sur elle-même, en ne s’aimant pas et en n’aimant ni l’Autre ni les autres. Une société mue par la reproduction, la consommation, la concurrence, la banalisation culturelle, ne vivant que dans le présent mais prisonnière de ce que Max Weber appelle « l’autorité de l’éternel hier » devient simplement conservatrice. La mobilisation contre le mariage pour tous et l’égalité des droits a mis en évidence la vision d’une société sans ambition, sans projet, sans horizon. C’est au cœur de ces enjeux que se niche le débat entre la gauche et la droite.
Ces enjeux prennent une résonance particulière ces temps-ci. Ils font écho aux conditions d’expression et d’exercice de la souveraineté. C’est pourquoi tout mécanisme automatique, comme ceux promus par l’Union européenne instituant un « mécanisme de correction déclenché automatiquement » en matière de sanction des déficits publics ou l’allongement de la durée de cotisation retraite déclenché automatiquement au motif de l’allongement de l’espérance de vie, percute la notion de progrès. Quel est le sens du progrès dans une « société en pilotage automatique », comme la qualifie le juriste Alain Supiot ? Entre cadrage libéral et « solutionisme » mécanique et technologique, l’espace du progrès se réduit. Sans doute une marge de manœuvre est-elle à conquérir dans le domaine de la gestion des risques engendrés par le progrès scientifique. Le sociologue allemand Ulrich Beck nous encourage à nous saisir de cet enjeu en permettant à la démocratie de reconquérir une part de souveraineté. Il nous invite à nous concentrer sur la limitation des causes de risques, en matière sociale ou industrielle, par exemple, plutôt que sur la gestion de ces risques a posteriori une fois la catastrophe arrivée. Ce rapport au temps implique un partage des responsabilités en amont et non simplement la réparation, et souvent l’ouverture d’un nouveau marché, une fois l’injustice ou l’incident avérés.
Penser le progrès au cœur d’un projet de gauche, c’est aussi s’inscrire dans un temps long, celui du changement et de l’action politique, pas celui du marché et du court terme. C’est sortir de l’immédiateté, de la pression du présent, du zapping permanent accéléré par l’internet et les réseaux sociaux. L’attention de l’internaute est devenue un marché à conquérir. Nous sommes en permanence sollicités dès lors que nous sommes connectés. Comment résister à cette effervescence dont le seul but est de susciter le désir, l’envie et l’acte d’achat ?
Enfin, la reconquête du progrès passe aussi pour la gauche par la réouverture au monde. Nous avons la chance, dans la culture française et dans la culture francophone, d’avoir de grands écrivains et de grands intellectuels qui nous aident à penser le monde, l’échange et la mobilité. C’est avec eux que nous devons lutter contre l’uniformisation des imaginaires. Le progrès, c’est le choix de l’ouverture, de la diversité, du mouvement. C’est pourquoi les drames de Lampedusa ou la supposée incapacité de la France à accueillir plus de 500 réfugiés syriens nous heurtent. C’est l’impuissance européenne qui nous bouleverse. Elle révèle la faiblesse et la pauvreté de nos idées et une incapacité à faire vivre nos valeurs.
Notre volonté de progrès doit bousculer cette impuissance et toutes les prétentions à l’infaillibilité. Progresser nous aide à ne pas croire en une vérité, d’où qu’elle émane. Nous ne croyons pas en des dogmes. Nous croyons en des valeurs, moteur de l’action politique ; la recherche du progrès est une valeure essentielle.
Delphine Mayrargue, secrétaire nationale du Parti socialiste à la formation