Billet de blog 14 février 2013

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L’indignité des prisons françaises n’est pas une fatalité

A l'occasion de la conférence de consensus sur la récidive, la socialiste Marie-Pierre de La Gontrie revient sur les solutions à long terme pour mettre fin à la «situation indigne» des prisons françaises. Avec trois objectifs: éviter autant que possible l’incarcération, faire de la prison un lieu de réinsertion et accompagner les condamnés pour éviter la récidive.

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A l'occasion de la conférence de consensus sur la récidive, la socialiste Marie-Pierre de La Gontrie revient sur les solutions à long terme pour mettre fin à la «situation indigne» des prisons françaises. Avec trois objectifs: éviter autant que possible l’incarcération, faire de la prison un lieu de réinsertion et accompagner les condamnés pour éviter la récidive.


Qui aujourd’hui peut prétendre ignorer qu’il existe en France des citoyens auxquels l’Etat impose des conditions de vie inhumaines, dégradantes, indignes de l’étendard français des Droits de l’Homme ? 

Qui n’a pas été marqué par les images de la prison des Baumettes à Marseille, de ses cellules insalubres et rongées par l’humidité, où les fils électriques sont à nu, les fenêtres parfois cassées, les sanitaires hors d’usage ? Ces cellules que les détenus entassés partagent avec la vermine ? La prison des Baumettes est loin d’être un cas isolé: en 2011, certains détenus de la maison d’arrêt de Mayotte devaient se contenter de 1,42m2 par personne. Rappelons qu’en France un chien vivant en chenil dispose légalement de 5m2

De plus il est prouvé que la promiscuité et l’insalubrité favorisent la violence, aggravant encore les conditions de détention, rendant insupportable et dangereux le travail des personnels pénitentiaires, ôtant à la prison toute dimension de réinsertion.

Le constat est connu de tous et nul ne peut l’ignorer: la France accumule désormais les condamnations européennes et internationales pour les conditions d’incarcération qu’elle impose à ses propres citoyens, et récemment encore le Contrôleur général des lieux de privation de liberté tirait la sonnette d’alarme pour la prison des Baumettes, justement.

Il serait injuste de dire que seule la gauche au pouvoir se préoccupe de cette situation: les gouvernements de droite qui se sont succédé au cours de la dernière décennie ont cherché une solution à ce problème en augmentant les capacités du parc carcéral. A première vue cette réponse était logique. Mais elle s’est accompagnée dans le même temps d’une multiplication des lois pénales qui ont augmenté les cas d’incarcérations, alourdi le quantum des peines et au final aggravé la récidive. L’augmentation du nombre de places en prison est ainsi allée de pair avec une inflation encore plus rapide du nombre de détenus, permettant à la France d’atteindre en 2012 le triste record de 117% de taux d’occupation dans les établissements pénitentiaires, et 133% pour les seules maisons d’arrêt.

La Garde des Sceaux a d’ores et déjà annoncé un programme de rénovation de plus de 800 millions d'euros pour réhabiliter les établissements pénitentiaires des Baumettes, de Fleury Mérogis et de la Santé à Paris. Au-delà de ces mesures immédiates exigées par l’urgence, il nous appartient aujourd’hui de trouver des solutions à long terme pour mettre fin à cette situation indigne.

Des solutions, le rapport d’information parlementaire du député Raimbourg sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, présenté devant la commission des lois le 25 janvier 2013 en propose 76. 76 propositions avec 3 objectifs: éviter lorsque cela est possible l’incarcération, déjà censée être le dernier recours en matière correctionnelle, faire de la prison un lieu de réinsertion et accompagner les personnes condamnées à des peines ouvertes pour éviter la récidive.

Les pistes explorées par Dominique Raimbourg sont diverses et certaines peuvent paraître audacieuses à première vue, comme par exemple la décorrectionnalisation de certains contentieux (infractions routières hors récidive, délits en matière de droit du travail…), la dépénalisation de certains comportements (racolage passif, mendicité agressive…), ou encore l’instauration d’un mode de régulation d’occupation des places disponibles. Certaines reposent sur le simple bon sens et l’application du droit, d’autres ne sont qu’une correction des erreurs induites par l’inflation pénale des 10 dernières années. Toutes posent la question du sens de la peine et du rôle de la prison: la sanction ne doit-elle pas avoir d’autre utilité que celle de punir ? La prison doit-elle vraiment être l’alpha et l’oméga de la peine ?

En préconisant de supprimer les peines plancher, de favoriser les peines alternatives et les aménagements de peines, Dominique Raimbourg s’inscrit dans la politique pénale tournée vers la prévention de la récidive initiée par Christiane Taubira dans sa grande circulaire pénale du 19 septembre 2012 qui posait le principe de l’individualisation de la peine. Le rapport de Dominique Raimbourg viendra ainsi alimenter les travaux de la conférence de consensus installée par la Garde des Sceaux avec pour mission de réfléchir à l’efficacité des réponses pénales, afin de mieux prévenir la récidive et de redonner à la prison son objectif de réinsertion.

Le président de la République a réitéré le 18 janvier devant la Cour de Cassation son engagement en faveur d’une politique pénale plus efficace et respectueuse des droits et de la dignité, gouvernement et Parlement travaillent donc ensemble dans ce sens. 

Alors bien sûr, des voix s’élèvent déjà pour taxer la gauche au pouvoir d’angélisme: à les entendre, nous voudrions simplement vider les prisons et serions donc du côté des voyous, pas du côté des victimes. Rien n’est plus faux. En préférant la réaction et l’émotion à une réflexion sur le sens de la peine, en privilégiant le temps médiatique des faits divers plutôt qu’une vision à long terme de la politique pénale, on oublie que la responsabilité de l’Etat et de sa justice n’est pas seulement de punir mais aussi de protéger, et que la meilleure des protections est de prévenir la récidive et donc d’empêcher qu’il y ait de nouvelles victimes.

Protéger la population et garantir aux détenus leur droit à la dignité ne sont pas des enjeux incompatibles: ces deux objectifs guident aujourd’hui le gouvernement et sa majorité dans leurs travaux pour une politique pénale plus juste et plus efficace.

Marie-Pierre de La Gontrie, conseillère de Paris, secrétaire nationale du Parti socialiste aux libertés publiques et à la justice

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