Bruno Arfib, géologue, enseignant-chercheur à l'université Aix-Marseille depuis dix ans, pousse un coup de gueule contre la multiplication des « tâches administratives » et l'inflation « des réunions pour organiser les futures tâches administratives ».
Compter! Compter, voici l'action première d'un enseignant-chercheur aujourd'hui. Ce matin, un drôle de sentiment m'anime. Mais pourquoi vais-je travailler? Pour compter! C'est donc pour cela que je ne suis pas pris d'un entrain débordant. Quel dommage d'en arriver là.
Je me souviens pourquoi j'ai voulu faire ce métier : pour vivre et faire partager ma passion de la découverte. Pas n'importe quelle découverte, celle du calcaire ; ce milieu bien particulier, percé de trous, dans lequel on prélève des ressources en eau indispensables à la vie. Oui, entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, chaque enseignant-chercheur est passionné. L'université, lieu d'acquisition et du partage du savoir par excellence, devrait donc être le lieu idéal pour permettre aux hommes et aux femmes en quête de découverte de s'exprimer et d'exceller.
Pourtant, aujourd'hui, la réalité est tout autre. Il faut compter. Il y a tout d'abord les dizaines d'emails reçus quotidiennement. Parmi ceux-là, hier un nouvel ordre est tombé : vous, enseignants-chercheurs, vous allez compter et déclarer vos vacances ; et vous n'oublierez pas non plus de compter et justifier vos heures d'enseignement ; et également les crédits de recherche qu'il vous reste ; et encore les heures de présence de vos personnels contractuels ; et les index de vos publications ; et les moyennes de vos étudiants… Et tous ces chiffres, vous les rentrerez vous-même dans des formulaires modernes, via des applications sur le réseau, développées pour vous rendre plus autonomes.
L'autonomie ce n'est pas cela. L'enseignement supérieur et la recherche dérivent. L'enseignant-chercheur n'a pas vocation à faire tous ces comptes. Il se retrouve chargé de ces tâches administratives car il n'y a plus de personnel pour les effectuer.
Où sont passées la confiance donnée aux enseignants-chercheurs, et la spécificité de ce métier, où chaque moment oscille entre moment de vie et action professionnelle. Par exemple, comment peut-on compter ses vacances, lorsque l'on travaille samedi et dimanche sur le terrain pour faire des observations ou encadrer des étudiants? Ces jours comptent-ils doubles parce qu'ils sont un week-end? Comment compter les nuits à terminer un projet, à préparer une conférence? Et surtout, comment compter tout ce temps passé à remplir des formulaires, à faire le tri entre les emails scientifiques et administratifs, à faire des réunions pour organiser les futures tâches administratives…
Compter ne suffit pas pour faire fonctionner la recherche et l'enseignement supérieur. Malgré les comptes, positifs ou négatifs, l'université fonctionne parce que des hommes et des femmes donnent de leur temps sans compter, pour la passion de la découverte, pour le plaisir d'enseigner, par de longues observations. Alors arrêtez de nous demander de compter, et laissez-nous travailler.