« Puisque tout semble aujourd'hui conduire lentement mais sûrement l'Union vers la généralisation des troubles sociaux et des violences dus à l'inégalité économique et sociale croissante», « ce que le prix Nobel annonce », met en garde Alain Joxe, spécialiste des questions stratégiques et de défense, sociologue, ancien directeur d'études à l'EHESS, « c'est qu'il va bientôt cesser d'être mérité ».
En récompensant l'Union européenne, les Nobel manifestent une deuxième fois leur désespoir ou leur optimisme par ce qui a l'air d'un vœu pieux pour l'avenir, un « wishful thinking ».
D'abord, ils ont couronné Obama uniquement pour ce qu'il a osé dire, dans sa campagne, avant qu'il ait rien pu faire, donc pour ses promesses de construire la paix globale notamment au Moyen-Orient, notammemnt entre Israël et la Palestine. Malgré la sincérité probable de ce président, le système américain demeure un organisme guerrier spécialisé très autonome et même si on peut espérer qu'Obama parviendra, dans sa prochaine présidence, à maitriser l'hydre de la troisième guerre mondiale qui s'agite partout, on n'en est pas sûr.
D'où le deuxième prix Nobel accordé à l'Europe.
Il faut voir cependant que le Nobel de la paix accordé à l'Union européenne n'est pas une récompense, encore imméritée, pour un discours sur l'avenir possible : c'est bien une récompense méritée pour ce que l'Union européenne a réussi à faire, majgré la Guerre froide et malgré les guerres de religions, génocidaires, démocidaires, ethnocidaires, qui ont éclaté hors de l'Union européenne, en ex-Yougoslavie, entre Croatie, Serbie, Bosnies et Kosovo, et malgré la crise économique financiarisée, au moins jusqu'à présent.
L'Union a su interdire les guerres entre ses membres et les guerres civiles au sein des nations membres depuis la fin de la Guerre froide. C'est donc une récompense méritée par le passé de l'Union. C'est aussi le dernier moment pour pouvoir lui décerner cet honneur puisque tout semble aujourd'hui conduire lentement mais sûrement l'Union vers la généralisation des troubles sociaux et des violences dus à l'inégalité économique et sociale croissante, gérée selon les principes anti-sociaux anti-écologiques et anti-économiques du système dit néolibéral.
Un management indiciaire en comptabilité automatique est exigé des gouvernements par les classes dominantes transnationalisées, au sein d'un système financier spéculatif pratiquant grâce à l'informatique, sans contrainte judiciaire, le dol, l'évasion fiscale et la délocalisation des entreprises. Ce glissement vers la précarisation générale des emplois salariés va bientôt créer des tensions insupportables et des violences d'abord individuelles puis collectives; cette gestion va inviter ou obliger les organismes policiers, gendarmiques et militaires à intervenir en opérations de maintien de l'ordre contre les classes populaires dans chaque pays et, pourquoi pas, en coopération avec les systèmes répressifs des pays voisins s'ils sont débordés. Le seul moyen pour empêcher l'illégitimité absolue de cette répression sociale, qui peut être baptisée “ guerre civile transfrontalière”, ce sera de favoriser les manifestations populistes, racistes et communautaristes, pour diviser les peuples, ce à quoi se préparent à la fois la droite de l'UMP et le Front national.
Il reste encore quelque délai, et la possibilité de quelques manœuvres élégantes, tardives, en Grèce, en Espagne, pour gagner du temps. Mais néanmoins ce que le prix Nobel annonce, c'est qu'il va bientôt cesser d'être mérité. Si l'Union européenne ne se donne pas pour stratégie transfrontalière de briser la machine financière électronique inconsciente et brutale qui va vouloir faire servir l'arsenal électronique au ciblage répressif moderne, on verra l'Europe non seulement s'effondrer mais s'enfoncer dans l'électronique policière, incapable de choisir entre la répression des crimes financiers et des mafias et celle des syndicalistes.
Ce prix Nobel accordé à l'Union européenne nous dit qu'il est donc très urgent qu'en France, où une coalition de gauche tente de résister au glissement, le nouveau livre blanc sur la défense sache produire un concept de défense qui soit aussi un concept de défense et de protection populaire européenne contre les causes économiques d'érosion de la paix civile et la généralisation des troubles et des répressions.