La question du vote obligatoire se pose régulièrement dans un certain nombre d’Etats, dont la France, au vu de l’importance prise par l’abstention. Vito Marinese, Docteur en droit et enseignant à l’Université Paris-Ouest-La Défense et à Sciences-Po, intervient dans ce débat relancé par le député écologiste François de Rugy qui a annoncé son intention de déposer une proposition de loi.
« Si j’apprécie la liberté de faire du jogging le dimanche matin, je chérie plus encore celle qui consiste à ne pas l’exercer ». C’est ainsi que Guy Carcassonne accueillait l’idée de rendre obligatoire l’exercice du droit de vote. Fausse bonne idée par excellence, elle vise le symptôme sans s’attaquer au mal au risque d’aggraver sérieusement celui-ci.
D’un coup de baguette législative disparaitraient ces vilains taux – « cachez donc ces chiffres que je ne saurais voir ! », 45 millions d’électeurs seraient comme par magie transformés en citoyens responsables et tout irait alors pour le mieux dans le meilleur des mondes démocratiques.
La fièvre cesserait-elle de grimper pour cette seule raison que le thermomètre a été cassé ? Comment alors mesurerait-on l’étendue du problème ?! D’aucun pourrait objecter qu’en dépit de l’obligation de voter demeurerait la liberté de voter blanc ou nul. Or, l’assimilation de ces deux modes d’expression n’a rien d’évident. Dans le cas du vote blanc, l’électeur manifeste son insatisfaction face à l’offre politique – ce qui marque finalement un intérêt manifeste pour le scrutin - alors que l’abstention traduit à l’inverse un désintérêt complet pour l’élection. La variation spectaculaire du taux d’abstention selon le type d’élection (entre 30% et 70%) et la stabilité relative des votes blancs et nuls (entre 1% et 6%) montrent bien qu’il s’agit là de phénomènes différents que l’on ne pourrait plus mesurer sérieusement s’ils étaient confondus.
Le désintérêt complet pour les élections que traduit l’abstention n’est au demeurant nullement synonyme d’absence de convictions. Pour certains citoyens, qui la pratiquent assidument, l’abstention est un véritable mode d’expression politique qui est parfaitement légitime dans une société démocratique. L’on comprendrait d’autant moins que ces convictions tombent sous le coup de la loi que ceux qui les défendent ne sont pas les derniers à s’engager dans la vie de la cité alors que certains accros au bureau de vote estiment avoir fait leur devoir de citoyen quand ils se contentent d’aller voter 3 fois tous les 5 ans et s’en retournent chaque fois chez eux l’esprit tranquille pour offrir aux chaines de télé leur temps de cerveau disponible.
Source d’inégalité, l’obligation de voter supposerait en outre d’instaurer une sanction sous la forme d’une amende, ce qui aboutirait à établir deux classes de citoyens : ceux qui pourraient s’offrir le luxe de l’abstention et ceux qui, faute d’avoir 35 euros à sacrifier sur l’autel de leurs convictions, seraient contraints de se rendre aux urnes. Victime directe d’une telle solution, la démocratie déjà mal-aimée se verrait associer à la contrainte, à l’obligation et à la punition. Il est difficile à cet égard d’évaluer les effets que pourraient produire un tel sentiment de contrainte sur les choix politiques qui seraient faits dans un isoloir qui pourrait alors tenir lieu de défouloir… et profiter aux extrêmes.
Enfin, notre classe politique n’aurait plus à faire l’effort collectif d’insuffler l’envie (à travers la qualité des débats !) non pas seulement d’aller voter pour eux, mais tout simplement de participer.