Billet de blog 16 août 2010

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Justice et prestations sociales, au temps des colonies

Fraude aux prestations familiales, polygamie et déchéance de la nationalité française: Armelle Mabon, maître de conférences à l'université Bretagne Sud propose d'entendre, en marge de ce débat, les arguments avancés du temps où les colonies réclamaient ces prestations familiales refusées pour cause de... polygamie.

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Fraude aux prestations familiales, polygamie et déchéance de la nationalité française: Armelle Mabon, maître de conférences à l'université Bretagne Sud propose d'entendre, en marge de ce débat, les arguments avancés du temps où les colonies réclamaient ces prestations familiales refusées pour cause de... polygamie.

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Illustration 1

A l'heure où le gouvernement français fait resurgir cet amalgame entre prestations familiales, polygamie et déchéance de la nationalité française, il est intéressant de se rappeler que parmi les grandes revendications sociales des peuples colonisés figuraient le droit aux prestations familiales. Les coloniaux, dont certains vont devenir des Français d'origine étrangère, devront attendre 1956 (1950 pour les fonctionnaires) avant de bénéficier de ce progrès social alors que le régime des prestations familiales existe en métropole depuis 1932. Faut-il aussi rappeler que: «Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale».

La mise en place des prestations familiales dans les territoires colonisés a fait surgir, avec beaucoup de passions, des interprétations sur les coutumes et des interrogations au confluent de l'assimilation morale et légale. Les prestations familiales pour les peuples colonisés représentaient la faillite et la débauche ou l'accession au bien-être et à la liberté. Alors que le Sénégalais Léopold Sédar Senghor estimait qu'elles étaient un symbole dont la consécration légale devait conditionner l'avenir des relations entre Africains et Européens (1), d'autres dénonçaient cette aide qui profiterait surtout aux polygames fortunés (2). La polygamie et la dot ont été un souci constant pour les autorités mais aussi pour les missions religieuses qui les qualifiaient de «malédiction, de tare héréditaire, de danger social, de fléau social , de libido excessive (3)». Ces pratiques coutumières ont ainsi été utilisées par le lobby colonial pour refuser les mesures sociales telles que les prestations familiales. Le débat portait notamment sur la nature des prestations. Le choix entre prestations en nature et prestations en espèces n'est en rien anodin.Oubliant l'adage du vieux sage Korr Barma: «Si tu veux tuer le plus orgueilleux des hommes, chaque jour donne lui à manger et tu en feras un serf (4)», les encenseurs des prestations en nature souhaitaient maintenir les populations colonisées en position d'assistés, d'éternels mineurs et de quémandeurs de bienfaisance or, «une famille ne peut se solidifier si elle prend racine dans la mendicité (5)». C'est une question de confiance comme le martelait avec passion la conseillère de l'Assemblée de l'union française, Paule Malroux (6) alors que le syndicaliste David Soumah rappelait que si l'on veut apprendre à quelqu'un à se servir de l'argent, on commence par lui en donner (7). D'autres évoquaient, non sans humour, la polygamie cachée des Français (8).

L'obstination de députés métropolitains, comme le communiste Maurice Kriegel-Valrimont pour qui l'instauration des prestations familiales n'était que justice à rendre au peuple africain, a eu raison d'un ostracisme d'État. De nombreux élus des deux côtés de la méditerranée ont refusé de prendre comme prétexte la lutte contre la polygamie pour maintenir en définitive les salariés (9) dans une vie de misère.

Aujourd'hui avec la volonté gouvernementale de supprimer les prestations familiales aux parents d'enfants absentéistes, de déchoir de la nationalité française les supposés polygames, des grands combats pour le progrès social menés par les peuples colonisés vont prendre un sérieux revers dont les victimes seront leurs descendants, ceux qui seront désormais pointés comme les Français d'origine étrangère, des citoyens qui redeviendraient sujets et quémandeurs de bienfaisance.

Armelle Mabon

Maître de conférences à l'université Bretagne Sud

1. Assemblée nationale, Débats, 11 novembre 1952, p. 5547.

2. ANSOM, Affaires politiques, carton 3669 dos.3. Note au sujet de la proposition de loi n° 6606 A.N. du 22 juillet 1953, 19 août 1953, signé Delteil ; Directeur des Affaires politiques.

3. J. Esser, Revue Zaïre, n° 13, mars 1949

4. Cité dans le film de Sembène Ousmane, « Gelwaar ».

5. Ibid.

6. Assemblée de l'Union française, séance du 1er février 1955, p. 54.

7. ANSOM,IGT 2, Conseil supérieur du Travail, séance du 1er février 1955, p. 54.

8. « Allocations familiales et polygamie », Syndicalisme outre-mer, n°27, janvier 1953.

9. Les prestations familiales ne concernaient que les salariés et les fonctionnaires.

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