Gilles Raveaud répond aux contradicteurs qui ont exprimé leurs doutes et désaccords après la publication de sa tribune du mercredi 14 septembre, «La règle d'or, un atout pour la gauche», et revient sur les propositions des candidats à la primaire socialiste exprimés jeudi 15 sur France 2.
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Ainsi que le note Laurent Mauduit, le débat entre les candidats à la primaire socialiste qui s'est déroulé jeudi soir a opposé «deux logiques économiques». D'un côté, «la mesure», avec Manuel Valls, François Hollande et, dans une moindre mesure, Martine Aubry, qui prévoient de réduire les déficits. De l'autre, «la rupture», incarnée par Arnaud Montebourg, qui souhaite s'affranchir des contraintes de l'équilibre budgétaire. La position de Ségolène Royal est en quelque sorte intermédiaire, puisqu'elle accorde la priorité à la mise sous tutelle des banques, tout en acceptant de signer la règle d'or.
Rigueur ou croissance, un faux dilemme
Je partage l'avis de Ségolène Royal et d'Arnaud Montebourg quant à la nécessité de discipliner le secteur financier. Aujourd'hui plus que jamais, l'impératif de faire retourner les banques dans le giron public est manifeste. Qu'il s'agisse de lutter contre les discriminations (raciales, sociales, de santé) face au crédit, de soutenir l'emploi local socialement et écologiquement responsable, ou de mettre fin à des rémunérations délirantes, toutes les raisons convergent pour nationaliser les banques, et le plus tôt sera le mieux.
Il est d'ailleurs remarquables de noter que des auteurs aussi différents que l'économiste Philippe Brossard, ou les très libéraux Augustin Landier et David Thesmar, appellent à nationaliser les banques. Certes, dans leur esprit, cette nationalisation doit être temporaire. Mais on ne voit pas de raison de ne pas pousser l'argument, et de ne pas nationaliser définitivement ce secteur actuellement mortifère pour l'économie et la société.
Mais le débat qu'a relevé Laurent Mauduit est étonnamment faussé: il découle du débat actuel «rigueur ou croissance», censé décrire le dilemme auquel serait confrontés les pays européens. Faut-il réduire les déficits pour alléger la dette et rassurer les marchés, au risque d'aggraver la récession? Ou faut-il accroître les dépenses publiques pour soutenir l'économie et l'emploi, mais en augmentant le stock de dette accumulé?
Posé ainsi, le débat est insoluble.
Mais il est mal posé, car il suppose constants deux éléments essentiels: le niveau des inégalités, et le montant (ainsi que la structure) des impôts. Il est possible de concilier la réduction du déficit avec la stimulation de l'activité, en taxant les patrimoines (terrains, logements, etc., par définition non productifs) et les hauts revenus.
Revenir à l'équilibre, c'est facile
Thomas Guénolé, maître de conférences à Sciences-Po, a ainsi proposé un plan permettant de revenir à l'équilibre dès 2012. Ses deux mesures principales sont les suivantes: «Prélever 7% du revenu des 1% les plus riches et 5% de celui des 9% suivants: 30 milliards d'euros. Prélever 1% du patrimoine des 1% les mieux dotés et 0,5% de celui des 9% suivants: 40 milliards.»
Avec ces seules deux mesures, l'Etat encaisserait 70 milliards, soit plus de la moitié du déficit actuel. Or ces propositions ne viennent pas d'un militant du Parti de gauche ou du NPA, mais d'une personne se présentant comme «conseiller d'un dirigeant centriste». La question est alors: pourquoi aucun dirigeant socialiste, même ceux se réclamant de la gauche de ce parti, n'a proposé ces mesures jeudi?
La réponse est évidente: parce qu'ils ont peur de perdre l'élection en annonçant qu'il vont accroître la taxation des hauts revenus.
C'est d'abord pour cette raison que, économiste keynésien habitué à défendre le déficit de l'Etat, j'en suis vené à plaider en faveur de la règle d'or. Il faut que la gauche s'engage à respecter l'équilibre budgétaire, car cela la forcera à affronter ses véritables choix idéologiques, aujourd'hui encore masqués, en dépit du processus de primaires. Quelles taxes? Pour quel montant? Voilà ce que nous voulons savoir.
Au secours, la croissance revient!
Un autre aspect marquant du débat hier, exprimé notamment par Martine Aubry et François Hollande, a été la référence permanente à la « croissance ». François Hollande a fait du retour de la croissance la condition de réussite de sa politique - mais sans donner d'argument expliquant d'où viendrait le surcroît d'activité. Martine Aubry a elle évoqué la croissance pour relever... son absence probable, et indiquer que sans croissance, il ne serait pas possible de réduire les déficits.
Dans les deux cas, le raisonnement n'est pas satisfaisant: soit on attend de la déesse Croissance qu'elle sorte de son sommeil par miracle, soit on se lamente sur son absence.
Mais les faits sont là: dans les années à venir, à système économique inchangé, la croissance sera faible en Europe, à cause des dégâts laissés par la crise. De plus, comme le remarquait Yannick Jadot, porte-parole d'Eva Joly sur France Info vendredi matin, continuer à accepter les déficits, c'est recourir à l'endettement afin de réparer les dégâts causés par une crise elle-même née de l'endettement des ménages!
Or les ménages se sont endettés parce que leurs salaires ne leur permettaient pas de faire face à leurs dépenses courantes. Les inégalités tout à fait excessives des pays riches sont la véritable racine de la crise de 2007, ainsi que l'ont expliqué Jacques Sapir, Patrick Artus, Bernard Guerrien ou Michel Husson.
La règle d'or au service du socialisme et de l'écologie
Réduire les inégalités et augmenter les bas salaires sont donc des impératifs non seulement de justice sociale, mais aussi afin de redonner un petit peu de stabilité à l'économie. Or le premier moyen de faire cela, c'est par la fiscalité. Il faut donc que les socialistes se contraignent à respecter l'équilibre budgétaire, afin qu'ils se forcent à accomplir deux choses essentielles: réduire les inégalités, et renoncer au mythe de la croissance.
Il faut renoncer au mythe de la croissance, parce que notre pays est suffisamment riche pour que chacun y vive bien. Il le faut parce que la nature nous y oblige. Il le faut parce que cesser d'attendre cette manne providentielle, c'est assumer nos responsabilités et nous donner les moyens d'agir par nous-même, sans attendre un secours de l'extérieur qui ne viendra pas. Il le faut car c'est au nom de la croissance que l'on privatise, que l'on critique les services publics supposément inefficaces, que l'on a dérégulé la finance parce qu'elle allait «servir la croissance», etc.
Adopter la règle d'or permet donc de se débarrasser de nos lâchetés habituelles: en nous forçant à respecter l'équilibre budgétaire, on se force à accroître les impôts. Cette redistribution accrue réduirait les inégalités, améliorerait les conditions de vie des plus pauvres, et stabiliserait l'économie. Enfin, elle nous permettrait de souffler un peu, de sortir de cette pression permanente de la dette et des débats qu'elle suscite, pour discuter plus calmement de la conversion écologique et sociale de notre économie.
«Maastricht a échoué, donc la règle d'or échouera aussi»?
Il est indéniable que, même si la règle d'or est adoptée, il ne sera pas possible de forcer un gouvernement à revenir à l'équilibre budgétaire. En un sens, c'est tant mieux, car il faut prévoir la possibilité de recourir au déficit en cas de crise sanitaire, climatique, ou financière. La règle d'or devra également inclure des règles précises en matière d'investissement, afin par exemple de permettre des nationalisations qui seront très rentables à long terme.
Pourquoi adopter la règle d'or même si elle ne sera pas totalement contraignante? Parce qu'elle accroîtra le coût politique du déficit budgétaire. Ou, autrement dit, elle rendra la vie plus difficile aux dirigeants politiques qui mèneront des politiques de déficit.
La règle aurait ainsi gêné l'actuel président de la République lorsque de l'adoption de la loi «Travail Emploi et Pouvoir d'Achat» qui prévoyait de multiples réductions fiscales. A l'époque, il ne s'est guère trouvé d'économiste défendant cette mesure, tant elle avantageait les riches et les hauts patrimoines, sans effet clair sur l'activité économique.
Avec la règle d'or, d'une manière générale, il devient beaucoup plus difficile de justifier les baisses d'impôt –tandis que les hausses trouvent une justification toute naturelle.
Par contre, le parallèle avec le traité de Maastricht n'est pas entièrement fondé. Il suffit en effet de lire la procédure concernant «les déficits excessifs» pour constater que les Etats avaient instauré de multiples garde-fous afin de ne pas être sanctionnés par la Commission. En effet, selon l'article 126 du traité de Lisbonne, la décision en la matière revenait au Conseil, qui réunit les Etats, et non pas à la Commission. Il suffisait donc que les autres Etats, votant à la majorité qualifiée, refusent de sanctionner l'un des leurs pour empêcher toute sanction (voir ci-dessous les alinéas 6, 9 et 11, selon lesquels que le Conseil «peut» prendre des sanctions). Il a donc été facile pour les Etats de se soustraire aux sanctions, comme l'histoire l'a prouvé.
Au total, la règle d'or n'est pas une solution parfaite. C'est simplement un moyen de contraindre les choix politiques afin de mettre les dirigeants face à leurs responsabilités. C'est en cela qu'elle est utile.
Gilles Raveaud, maître de conférences à l'Institut d'études européennes (université Paris 8 Saint-Denis), chroniqueur associé au magazine Alternatives Economiques.
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Article 126 du traité de Lisbonne [Procédure pour les « déficits excessifs »]
1. Les États membres évitent les déficits publics excessifs.
2. La Commission surveille l'évolution de la situation budgétaire et du montant de la dette publique dans les États membres en vue de déceler les erreurs manifestes. Elle examine notamment si la discipline budgétaire a été respectée, et ce sur la base des deux critères ci-après:
a) si le rapport entre le déficit public prévu ou effectif et le produit intérieur brut dépasse une valeur de référence, à moins:
- que le rapport n'ait diminué de manière substantielle et constante et atteint un niveau proche de la valeur de référence,
- ou que le dépassement de la valeur de référence ne soit qu'exceptionnel et temporaire et que ledit rapport ne reste proche de la valeur de référence;
b) si le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut dépasse une valeur de référence, à moins que ce rapport ne diminue suffisamment et ne s'approche de la valeur de référence à un rythme satisfaisant.
Les valeurs de référence sont précisées dans le protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs, qui est annexé aux traités.
3. Si un État membre ne satisfait pas aux exigences de ces critères ou de l'un d'eux, la Commission élabore un rapport. Le rapport de la Commission examine également si le déficit public excède les dépenses publiques d'investissement et tient compte de tous les autres facteurs pertinents, y compris la position économique et budgétaire à moyen terme de l'État membre.
La Commission peut également élaborer un rapport si, en dépit du respect des exigences découlant des critères, elle estime qu'il y a un risque de déficit excessif dans un État membre.
4. Le comité économique et financier rend un avis sur le rapport de la Commission.
5. Si la Commission estime qu'il y a un déficit excessif dans un État membre ou qu'un tel déficit risque de se produire, elle adresse un avis à l'État membre concerné et elle en informe le Conseil.
6. Le Conseil, sur proposition de la Commission, et compte tenu des observations éventuelles de l'État membre concerné, décide, après une évaluation globale, s'il y a ou non un déficit excessif.
7. Lorsque le Conseil, conformément au paragraphe 6, décide qu'il y a un déficit excessif, il adopte, sans délai injustifié, sur recommandation de la Commission, les recommandations qu'il adresse à l'État membre concerné afin que celui-ci mette un terme à cette situation dans un délai donné. Sous réserve des dispositions du paragraphe 8, ces recommandations ne sont pas rendues publiques.
8. Lorsque le Conseil constate qu'aucune action suivie d'effets n'a été prise en réponse à ses recommandations dans le délai prescrit, il peut rendre publiques ses recommandations.
9. Si un État membre persiste à ne pas donner suite aux recommandations du Conseil, celui-ci peut décider de mettre l'État membre concerné en demeure de prendre, dans un délai déterminé, des mesures visant à la réduction du déficit jugée nécessaire par le Conseil pour remédier à la situation.
En pareil cas, le Conseil peut demander à l'État membre concerné de présenter des rapports selon un calendrier précis, afin de pouvoir examiner les efforts d'ajustement consentis par cet État membre.
10. Les droits de recours prévus aux articles 258 et 259 ne peuvent être exercés dans le cadre des paragraphes 1 à 9 du présent article.
11. Aussi longtemps qu'un État membre ne se conforme pas à une décision prise en vertu du paragraphe 9, le Conseil peut décider d'appliquer ou, le cas échéant, de renforcer une ou plusieurs des mesures suivantes:
- exiger de l'État membre concerné qu'il publie des informations supplémentaires, à préciser par le Conseil, avant d'émettre des obligations et des titres;
- inviter la Banque européenne d'investissement à revoir sa politique de prêts à l'égard de l'État membre concerné;
- exiger que l'État membre concerné fasse, auprès de l'Union, un dépôt ne portant pas intérêt, d'un montant approprié, jusqu'à ce que, de l'avis du Conseil, le déficit excessif ait été corrigé;
- imposer des amendes d'un montant approprié.
Le président du Conseil informe le Parlement européen des décisions prises.
12. Le Conseil abroge toutes ou certaines de ses décisions ou recommandations visées aux paragraphes 6 à 9 et 11 dans la mesure où, de l'avis du Conseil, le déficit excessif dans l'État membre concerné a été corrigé. Si le Conseil a précédemment rendu publiques ses recommandations, il déclare publiquement, dès l'abrogation de la décision visée au paragraphe 8, qu'il n'y a plus de déficit excessif dans cet État membre.
13. Lorsque le Conseil prend ses décisions ou recommandations visées aux paragraphes 8, 9, 11 et 12, le Conseil statue sur recommandation de la Commission.
Lorsque le Conseil adopte les mesures visées aux paragraphes 6 à 9, 11 et 12, il statue sans tenir compte du vote du membre du Conseil représentant l'État membre concerné.
La majorité qualifiée des autres membres du Conseil se définit conformément à l'article 238, paragraphe 3, point a).