Pour Jean Fabbri, ancien secrétaire général du Snesup-FSU (2005 - 2009), « le nouveau cadre législatif qu’appellent des personnels et des étudiants méprisés des années durant ne peut reposer sur une concertation bâclée, étroitement verrouillée et dont les seuls interlocuteurs entendus sont les présidents de région et le Medef ».
Les missions de recherche et de formation, la culture, leurs personnels, les étudiants, ont été ces dernières années sacrifiés. Le socle idéologique de cette politique est double : mépris pour le savoir et sa dimension critique, choix économiques de rentabilité financière de court terme dans tous les champs de la société (baptisé innovation dans la recherche). Le socle législatif est triple : LOLF et RGPP (quant au rôle de l’Etat), loi « recherche » et loi LRU.
Les budgets qui en résultent ont freiné des programmes scientifiques, précarisé les jeunes chercheurs, affaibli les possibilités d’embauche et rendu encore moins attractives les carrières. La communauté universitaire a résisté pour défendre le service public universitaire et contester ces choix en 2005, 2007 et 2009 par de puissantes grèves et manifestations, car elle conserve l’ambition de combiner la démocratisation de l’accès aux savoirs et une collégialité effective au sein des établissements, à rebours d’une organisation fondée sur le modèle entrepreneurial qu’a imposé la loi LRU.
C’est donc avec exigence que « le changement » du cadre législatif et budgétaire est attendu de l’actuel gouvernement. Et il est plus qu’attendu « maintenant » : nous le voulons ! La loi de finances 2013 défendue par la ministre Geneviève Fioraso permet tout juste d’éviter l’asphyxie, sans enrayer la suppression de programmes de formation dans de très nombreuses universités. Les attentes n’en étaient que plus grandes envers la loi « d’orientation » annoncée par le président de la République.
Le projet de loi rendu public le 8 février dernier ne s’inscrit malheureusement pas dans la rupture de fond pour reconstruire un puissant service public d’enseignement supérieur et de recherche et répondre aux aspirations des personnels. Il tourne le dos à une politique audacieuse, confiante dans l’institution universitaire et sa démocratie collégiale si malmenée par le pouvoir sarkozyste. Il balaye l’expérience, les analyses et les propositions émanant des organisations et des personnels les plus impliqués sur le terrain et dans les luttes de ces dernières années.
Le dogme de l’autonomie des universités au sens d’opérateurs de l’Etat (rien à voir avec les indispensables libertés académiques) est maintenu, alors qu’il conviendrait de viser à :
– rassembler tout le post-bac public au sein du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (en intégrant donc les classes prépas, d’abord sur le plan budgétaire, dans le système universitaire, et en faisant revenir dans le budget de l’Etat la masse salariale des emplois statutaires aujourd’hui transférés aux établissements)
– créer ou revaloriser des instances légitimées par des élections, assurant la régulation nationale de l’enseignement supérieur et la prospective scientifique, au lieu de vagues procédures d’accréditations pour les cursus de formation
– inciter aux coopérations des établissements publics (université/Ecoles) sur la base de l’intérêt mutuel, de la démocratie, sans concession aux intérêts de l’enseignement supérieur privé, au lieu de fusions forcées baptisées « communautés d’universités ».
Ce désengagement de l’Etat se double d’une explicite régionalisation – refusée pourtant par tous les universitaires – qui ferait des exécutifs régionaux les arbitres des priorités scientifiques au nom de logiques économiques et qui fragiliseraient un peu plus les savoirs disciplinaires dans une logique « bac–3, bac+3 ».
Si l’objectif est légitime de rendre plus lisible pour les lycéens, leurs familles, comme pour les futurs employeurs, l’éventail des formations, les moyens employés pour y parvenir sont dérisoires puisque la cause première –la mise en concurrence des établissements sommés de se distinguer les uns des autres– n’est pas remise en cause par le projet de loi.
Le projet de loi distille l’illusion d’une université numérique sans murs et… délocalisable à la manière des call centers. Démagogie encore sur les mobilités internationales qui ont creusé un peu plus, faute de moyens, les inégalités sociales au cœur de l’enseignement supérieur. La considérable faiblesse dans l’attractivité des filières scientifiques, qui pénalise notre pays et son économie et qui trouve ses causes avant tout dans le système des responsabilités et des rémunérations au sein des entreprises, n’est pas abordé. La logique des stages et de l’apprentissage multipliés sans aucune mesure de leur impact réel, tant sur les processus de formation que sur le tissu économique, sommé de distraire plus d’un million de postes de travail de la sphère de l’emploi, n’est pas remise en cause.
Quant à l’organisation interne au sein des établissements, les mesures prévues dans la loi ne sont réclamées par personne… et d’autres décisions, que la communauté universitaire appelle d’urgence, sont oubliées :
– la fusion dans le seul « conseil académique » des deux conseils actuels centrés l’un sur la recherche l’autre sur la pédagogie et leur découplage du conseil d’administration, conçu comme le seul conseil « stratégique » porte atteinte aux missions mêmes des institutions universitaires
– ce rôle du CA, au nombre de membres étriqué, aux modalités de scrutin qui restent iniques, et qui confirme un présidentialisme sous tutelle des collectivités locales, continuera d’étouffer les libertés scientifiques et pédagogiques
– le maintien des procédures très contestées de recrutement des enseignants-chercheurs est une lourde dérobade aux enjeux d’avenir.
Le nouveau cadre législatif qu’appellent des personnels et des étudiants méprisés des années durant ne peut reposer sur une concertation bâclée, étroitement verrouillée et dont les seuls interlocuteurs entendus sont les présidents de région et le Medef. Le gouvernement a-t-il vraiment intérêt à étendre à l’enseignement supérieur et à la recherche les déchirures que les projets gouvernementaux sur la formation des enseignants, les concours de recrutement, les rythmes scolaires bousculés sans moyens … suscitent déjà et qu’il faut là aussi largement revoir ?
Ouvrir enfin des négociations, ce que n’a jamais fait Valérie Pécresse en son temps, j’en témoigne, est indispensable. L’enseignement supérieur et la recherche et, au-delà, la société française méritent mieux qu’un hâtif bricolage législatif sur les bases de la loi LRU.
Pour traduire dans la loi le plus grand nombre de ces demandes : financements pérennes, cadre national, démocratie… une lettre ouverte à la ministre est devenue une pétition: http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2013N35519
Jean Fabbri est maître de conférences de mathématiques, directeur de l’UFR Sciences et Techniques de l’université de Tours.