Le quinquennat de François Hollande s’achève. Pour beaucoup, cette expérience a donné lieu à de nombreuses transgressions des engagements initiaux. Courant derrière une croissance miraculeuse, le gouvernement a beaucoup sacrifié sur l’autel de la compétitivité. A ces revirements économiques et sociaux s’ajoute désormais, passée la réponse ferme et attendue aux attentats, une révision constitutionnelle précipitée dont la mesure emblématique, la déchéance de nationalité, symbolise le glissement d’une gauche en mal d’idées. Le court-termisme et le cynisme électoral ont fait céder les dernières valeurs constitutives de l’identité progressiste.
D’autres choix politiques continuent pourtant d’être exprimés par une large frange de la gauche politique, associative et intellectuelle. Mais nous devons avoir la lucidité de constater les limites de ce combat. A l’heure où nous parlons, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parti socialiste, personne n’occupe une position stratégique payante qui résonne largement dans la société.
Certains parleront de cycles politiques et rappeleront les périodes noires dont la gauche s’est remise. Seulement, cette théorie fait l’impasse sur les particularités d’aujourd’hui : jamais le Front National ni le rejet de «l’establishment» politique n’ont été aussi fort.
Cette situation anxiogène et dangereuse appelle une analyse renouvelée. Il n'existe pas d'espace politique assez large pour une radicalité uniquement assise sur la critique économique et sociale, aussi forte et nécessaire soit-elle. La société française ne se droitise pas pour autant. La reprise par le FN du discours, longtemps porté par la gauche, critiquant les ravages dûs à la mondialisation, en est la preuve.
Le mal principal se situe au coeur des “émetteurs” que sont les partis de gouvernement, et en particulier le Parti socialiste. Cet outil démocratique est cassé et comme le montre le baromètre de la confiance politique” du CEVIPOF, cette brisure est le résultat de l’accumulation d’années de défiance. Aujourd’hui, à peine 10% des citoyens accordent leur confiance aux partis politiques. Terrible constat pour des militants engagés pour changer la société.
L’inefficacité dans l’action, l’impuissance face aux problèmes du pays, les promesses non tenues, mais surtout l’usure d’une démocratie de moins en moins réprésentative couplée à des pratiques parfois inacceptables creusent un fossé entre les citoyens et ceux qui prétendent agir pour eux. Nous ne sommes plus légitimes et nous ne pouvons aspirer à gouverner sans légitimité.
Nous affirmons donc qu’il est urgent de reconstruire ces émetteurs, en dehors des «castes» actuelles, et que seule cette reconstruction rendra à nouveau légitimes les idées et les projets que nous portons. La résolution de la question démocratique est un préalable indispensable à toute victoire durable.
La bonne nouvelle est qu’il existe un espace politique à vocation majoritaire pour une véritable radicalité démocratique. Le succès du simple appel aux primaires lancé par des acteurs essentiellement hors du champ politique, l’émergence des «civic tech» et le maintien d’une vie associative extrêmement riche à laquelle participent plusieurs millions de nos concitoyens en sont des illustrations probantes.
La mauvaise nouvelle est que le FN a compris cela avant nous. Sans le théoriser lui-même vraiment, ce parti incarne de fait le renouvellement des visages (femmes, jeunes, employés, société civile avec le rassemblement Bleu Marine) et qui porte la critique la plus dure du «système» des élites et du fonctionnement des partis en place. D’une autre manière, Emmanuel Macron, bien qu’il soit lui-même un pur produit de l’élite classique et qu’il se contente de dépoussiérer le discours libéral traditionnel, réussit pour l’instant à incarner habilement le renouvellement.
Nous pouvons faire mieux. A nous, progressistes, de nous ressaisir et de dépasser le stade de la plainte. L’utilisation répétée du concept gramsciste de «bataille culturelle» fait bien trop souvent l’impasse sur les moyens concrets et la voie à emprunter. Si les exemples venus de l’étranger nourrissent notre réflexion, les progressistes français doivent trouver leur voie propre.
Cette voie n’est pas celle d’un populisme basique reposant sur le «tous pourri» ou d’un gauchisme pétri de certitudes et enfermé dans des oppositions stériles entre vraie gauche et «droitiers». Elle n’est pas non plus la simple formulation d’un projet de VIe République qui n’intéresse qu’un public averti. Elle n’est pas enfin une opération de communication consistant à colorer le système actuel d’un vernis participatif.
Nous appelons à l’émergence d’une incarnation forte et d’un projet collectif radicalement démocratiques qui nous permettent de renouer avec une majorité de citoyens et avec l’enthousiasme politique que notre pays a souvent connu au cours de son histoire. Puisque nous sommes encore en Ve République, nous devons favoriser l’émergence, avec ou sans primaires, d’un candidat à l’élection présidentielle qui, sans renier les valeurs et les idées d’égalité sociale et d’émancipation, se démarque d’abord par son indépendance à l’égard de l’establishment économique ou politique et qui prend l’engagement de mettre fin à l’institution monarchique de la Ve. Ce candidat devra s’entourer de visages nouveaux, réellement divers tant du point de vue de l’âge (le jeunisme n’a jamais fait une politique) que des origines professionnelles ou sociales. Cette équipe convaincra les citoyens par sa sincérité, son absence de cynisme, sa capacité à les inclure dans les processus réels de décision et par son engagement à mettre fin au capitalisme électoral que constitue le cumul des mandats dans le temps, à combattre fermement toutes les formes de clientélisme, de corruption et d’arrangements fiscaux.
Nous croyons fermement qu’une telle candidature légitimerait les thèses progressistes. Elle pourrait ringardiser les gouvernants en place si elle est bien construite, sincère et dure avec ses adversaires conservateurs de tous bords. Soyons radicaux, au travail!