Billet de blog 17 mai 2010

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Micro-finance: un outil efficace contre la pauvreté?

La majorité des études d'impact ont observé un impact fort de la micro-finance sur le niveau de revenus, d'épargne et de patrimoine, notent les auteurs du «Guide del a micro-finance». Mais celle-ci doit encore évoluer pour maximiser son impact sur le développement global.

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La majorité des études d'impact ont observé un impact fort de la micro-finance sur le niveau de revenus, d'épargne et de patrimoine, notent les auteurs du «Guide del a micro-finance». Mais celle-ci doit encore évoluer pour maximiser son impact sur le développement global.

---------------

En une trentaine d'années seulement, la microfinance a atteint une échelle remarquable : plus de 150 millions de personnes, exclues des systèmes bancaires classiques, ont aujourd'hui accès à des services financiers comme le microcrédit ou l'épargne. Les microcrédits permettent aux clients de démarrer ou de faire prospérer leur activité : le plus souvent ils financent l'avance d'argent nécessaire pour acheter les marchandises de la microentreprise - c'est-à-dire le fonds de roulement -, parfois ils financent un investissement (outil, équipement). Les services financiers en général permettent aux clients de mieux gérer leurs revenus et de réduire leur vulnérabilité face aux aléas de la vie. L'objectif de lutte contre la pauvreté a été à l'origine de la création des institutions de microfinance (IMF) qui ont ainsi drainé des financements publics et créé des attentes fortes, tant pour leurs clients qu'au niveau macro-économique. Aujourd'hui, certains auteurs soulignent les limites de la microfinance et mettent en doute son impact sur le développement. Qu'en est-il réellement ? Que nous apprennent les études d'impact sur la contribution de la microfinance à la réduction de la pauvreté dans les pays en développement ?

Le premier impact que l'on attend de la microfinance, compte tenu de ses objectifs, est au niveau de ses clients : leur situation économique et sociale s'améliore-t-elle réellement, grâce aux services financiers que propose la microfinance?

Malgré les obstacles méthodologiques, la majorité des études sérieuses, menées à des années d'écart et sur différents continents, ont montré un impact significatif sur l'amélioration de la situation économique des clients (1). A titre d'exemple, au Bangladesh, une étude menée auprès d'un échantillon de plus de 5.000 ménages a montré que les clients de l'IMF Brac, plus pauvres à l'origine que les non-clients au sein de cet échantillon, opèrent un rattrapage significatif sur le plan des revenus, de l'épargne et de la possession d'actifs et de terres. A Madagascar, une étude auprès du réseau des Caisses d'Epargne et de Crédit de Madagascar (Cecam) a identifié une progression plus rapide du patrimoine et un taux de sortie de la pauvreté plus élevé chez les clients de ces IMF que chez les non-clients. Au Zimbabwe, une étude sur Zambuko Trust a démontré que les clients réussissaient mieux que les non-clients à accumuler des actifs directement utiles au ménage, comme un réfrigérateur ou un four. A quelques exceptions près, la majorité des études d'impact ont observé un impact fort de la microfinance sur le niveau de revenus, le niveau d'épargne et le patrimoine (actifs productifs et biens d'équipement personnels).

Si le constat d'un impact microéconomique positif est globalement partagé, certaines études vont même plus loin et mettent en évidence un effet de la microfinance sur l'amélioration d'indicateurs sociaux tels que l'éducation des enfants, la santé ou l'autonomie des femmes. Des études sur les IMF Brac au Bangladesh ou Foccas en Ouganda en témoignent. Cependant, sur ce thème, les études sont moins unanimes : les résultats portant sur l'IMF First Macro Bank aux Philippines ne parviennent pas à montrer, à court terme, un impact significatif dans ces domaines.

Au-delà de l'impact sur les clients, observe-t-on un impact plus global de la microfinance sur le développement d'une région, d'un pays? La microfinance favorise la bancarisation de la population et l'on estime que les IMF représentent jusqu'à 5% de la collecte d'épargne et 10% du crédit à l'économie dans certains pays. Dans ces conditions, il est clair que la microfinance contribue significativement, à son échelle, au financement de l'économie. Pour autant, il est très difficile de démontrer de façon rigoureuse un impact à un niveau large, sur la croissance économique ou sur la réduction du taux de pauvreté d'un pays.

L'absence de démonstration tient d'une part à des obstacles méthodologiques : les méthodes statistiques de mesure d'impact sont difficilement applicables au niveau macroéconomique. D'autre part, la microfinance n'est pas un remède universel : elle ne peut résoudre les problèmes d'accès aux soins ou à l'éducation des populations, ni apporter à elle seule une réponse à la question du développement. Cette question est en effet tributaire aussi des politiques publiques, du progrès des libertés, de l'équité des règles du commerce mondial, etc.

Après deux décennies d'enthousiasme, on pointe aussi davantage aujourd'hui les limites de la microfinance et de son impact sur les clients.

Certaines critiques soulignent l'utilisation de microcrédits à des investissements non-productifs. Cet argument n'est cependant que très partiellement valable dans la mesure où il est souvent artificiel, dans les économies en développement, de séparer consommation et activité économique puisque les mêmes biens (four, réfrigérateur etc) sont souvent utilisés à des doubles fins privées et économiques ; et un microcrédit sera utilisé indifféremment pour la famille ou les micro-activités du client.

Le risque de surendettement est en revanche une préoccupation forte du secteur. Cette situation peut se produire quand un emprunteur souscrit plusieurs prêts auprès d'IMF concurrentes, qui ne le savent pas. Pour nuancer ce point, il faut cependant rappeler que le surendettement (auprès de prêteurs informels) existait bien avant l'apparition de la microfinance. Il n'en demeure pas moins que les IMF ont aujourd'hui une responsabilité pour limiter ce risque et que c'est leur intérêt. Certaines, de plus en plus nombreuses, entament des actions d'éduction au crédit, s'efforcent de mieux adapter les produits aux besoins des clients ou participent à la construction de bureaux de crédit qui recensent les crédits en cours des différents prêteurs.

Pour l'avenir, certaines évolutions pourraient permettre à la microfinance de maximiser son impact. Pour l'instant, les investissements dans les microentreprises se concentrent en général sur des activités de survie (petit commerce, activité de transformation sommaire) offrant peu de possibilités d'expansion et de création d'emplois. S'il est vrai qu'à court terme, des millions de personnes n'ont pas accès à l'emploi salarié et trouvent auprès de la microfinance un appui nécessaire pour survivre, la microfinance doit également à son échelle contribuer au renforcement du tissu d'entreprises formelles en proposant des services plus adaptés aux PME.

Enfin, si la microfinance n'est pas un outil adapté pour « les plus pauvres des pauvres » qui cherchent avant tout à satisfaire des besoins vitaux et manquent du minimum de stabilité nécessaire pour que le recours au crédit et à des services financiers leur soit utile, certains programmes de microfinance ont exploré la possibilité de partenariats avec des programmes sociaux afin de toucher une clientèle plus pauvre que celle qu'ils touchent actuellement. La microfinance, qui aujourd'hui permet à des populations vulnérables (situées juste en-dessous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté) de mieux résister aux aléas de la vie et de développer leurs microentreprises, peut ainsi utilement s'articuler avec d'autres politiques de développement et accroître encore sa contribution à la lutte contre la pauvreté.

Alix Pinel, en collaboration avec Sébastien Boyé, Jérémy Hajdenberg, Christine Poursat et David Munnich. Auteurs de l'ouvrage Le guide de la microfinance - Microcrédit et épargne pour le développement paru aux Editions Eyrolles en 2009.

(1) Références disponibles dans Le guide de la microfinance- Microcrédit et épargne pour le développement, Editions Eyrolles, 2009

Cet article sera également publié dans le Baromètre de la microfinance 2010 ISPOS-ACTED-Le Monde à paraître le 25 mai 2010.


Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.