Billet de blog 17 mai 2014

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De quoi Boko Haram est-il le symptôme?

L'affaire de l'enlèvement des jeunes filles puis des réactions ocidentales est symptomatique « d’une série de soulèvements sporadiques des sociétés africaines qu’il convient d’interroger, et de répressions occidentales à répétition », observe le chercheur Michel Galy, alors qu'à Paris François Hollande reçoit les chefs d'Etat de la région et des représentants américains et Européens.

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L'affaire de l'enlèvement des jeunes filles puis des réactions ocidentales est symptomatique « d’une série de soulèvements sporadiques des sociétés africaines qu’il convient d’interroger, et de répressions occidentales à répétition », observe le chercheur Michel Galy, alors qu'à Paris François Hollande reçoit les chefs d'Etat de la région et des représentants américains et Européens. Il y a un peu moins d'un, Michel Galy était interrogé par Mediapart à l'occasion de la parution de l'essai qu'il a coordonné: Guerre au Mali, enjeux et zones d'ombre (La Découverte). 


La planète entière est, avec un mois de retard sur les événements, bouleversée à juste titre par le rapt de 200 lycéennes du Nord Nigeria, ce « géant pétrolier » de l’Afrique qui s’est vite révélé incapable de les retrouver. Emerge alors, via un hashtag devenu célèbre et bientôt détourné à qui mieux mieux, une campagne internationale inédite qui mobilise les foules, et mêle Web.2.0, bonne conscience « humanitaire » ou mondaine et…intervention militaire sans précédent !

Le « sommet de l’Elysée » du samedi 18 mai est un moyen pour l’armée et l’Etat français de ne pas perdre la main – surtout de ne pas laisser les USA intervenir à grand fracas: mieux vaut provoquer une intervention supplémentaire, même hors de nos moyens, opinent les géopolitologues ou « intellectuels » organiques, qu’en être exclus !

Si, sans contester le devoir de sauver les jeunes filles victimes, on garde la tête froide et l’analyse raisonnée, on ne peut s’empêcher de faire des parallèles : la situation rappelle en fait celle des djihadistes du Nord Mali et de l’opération Serval en janvier 2013. Ou encore celle des « rebelles » de la Seleka –qu’on laisse prendre Bangui, la capitale centrafricaine– et de l’opération Sangaris en décembre de la même année.

Et en remontant la série plus en amont, la série des « Opex » qui s’accélère, en grande continuité sous Sarkozy et Hollande : Libye, Côte d’Ivoire, Mali, RCA, Nord Nigéria… ou pour celle qui se dessine, faut-il dire : Nigeria, et Niger, et Cameroun, et Tchad ? Quoique la base française, dans ce dernier pays, y soit depuis « l’indépendance », confortant de nos jours le régime d’Idriss Deby – tout en prétendant en « finir avec la Françafrique »…

L’ « opération Boko Haram » (titre provisoire, nul doute qu’un terme exotique fera dans les jours qui viennent le bonheur des journalistes…) comporte déjà ce qui caractérise le « triangle » des pouvoirs dans la très bushienne « guerre au terrorisme » : Etats/groupes armés/médias, en interaction complexe mais permanente.

Au delà, il est bien clair pour les observateurs, et déjà les historiens, que l’ « affaire Boko Haram » est bien le symptôme d’une série de soulèvements sporadiques des sociétés africaines qu’il convient d’interroger, et de répressions occidentales à répétition. Et que pour éviter leur recommencement –et peut-être un jour des lendemains désenchantés ou des défaites militaires–, il faut en comprendre les causes, pour esquisser des alternatives politiques. Et ce ne sont pas les explications simplistes à la Huntington qui apportent quelques lumières, Occident vs Islam ! Autant dire que nous serons virtuellement en guerre contre un milliard de croyants…

D’une part, parce que des syncrétismes d’inspiration chrétiennes sont ailleurs en jeu, telle la fameuse « Armée de Résistance du Seigneur » de Joseph Kony –qui a le même « modus operandi » que Boko Haram pour l’enlèvement de jeunes filles destinées à devenir esclaves sexuelles des combattants.

D’un autre coté, les nationalistes africains, voire les panafricanistes, sont explicitement désignés par la prospective du ministère français de la défense comme les ennemis du pays – à l’instar par exemple de Laurent Gbagbo, de Paul Kagamé…ou d’ IBK du Mali ,si ce dernier ne répond pas assez vite aux diktats de la puissance (néo)coloniale  pour signer très vite les « traités inégaux » et forcés du XXIe siècle qu’on appelle par antiphrase  « accords de défense ».

Enfin, parce que l’ instrumentalisation des rebellions par le « complexe militaro-colonial » français – ou leur  « containment », ou  leur destruction –ne tiennent pas à leur religion, mais à leur supposée utilité immédiate pour soutenir ou combattre à peu de frais telle dictature ou tel régime. Sans parler des « alliances contre nature » qui font répéter à notre échelle la bourde grandiose des Américains soutenant les talibans contre les Soviétiques en Afghanistan : n’est-ce pas ce qui s’est passé en Libye, et ce que nous pratiquons en Syrie ?

A travers les terrains aussi différents que la Centrafrique, le Mali et aujourd’hui le Nigeria –mais qu'on a pu aussi observer en RDC, Liberia, Sierra Leone et autres terrains de guerre – on retrouve des invariants bien mal analysés par les politologues en faveur à Paris : échec de l’Etat et du système électoral « à l’occidentale », refuge ou alternatives dans des utopies religieuses ou radicales, insurrection des périphéries délaissées et paupérisées, et dissémination des « guerres nomades ».

Car c’est bien un modèle occidental, surlégitimé par les instances onusiennes, qui est en cause : Etat prédateur, élections truquées, corruption du développement sont observés dans tous les pays en guerre, et vont bien évidemment à l’encontre de la doxa gouvernementale, fut-elle française, britannique, ou nord-américaine. Et c’est plus pour conforter un « modèle failli » et non un « Etat effondré » que l’on intervient, en mettant à chaque fois des motifs « humanitaires » pour envoyer des corps expéditionnaires à répétition.

Pétrole, uranium et matières premières : c'est bien ce modèle colonial et archaïque d’échange inégal et de prédation déséquilibrée qui persiste depuis le XIXe siècle, sous d'autres formes, mais avec la même structure, entre Occident et Afrique. Et le Nigeria en est un des derniers exemple : riche en pétrole, il n avait pas encore de bases militaires fixes ni de corps expéditionnaires, comme au Mali il y a peu ; dès lorsque les troupes internationales s’installent à demeure, le peu d’indépendance nationale est définitivement obérée – y compris par les miliaires sous contrôle des Nations unies, qui ne sont trop souvent, comme l’ont prouvé Licorne et Onuci en Côte d’ivoire, que les supplétifs de l’ancienne puissance impériale.

L’insurrection généralisée qui vient dépasse de toute évidence, en particulier en période de crise et de restrictions des budgets militaires, les capacités françaises : le modèle militaire colonial de ce siècle sera multilatéral, ou ne sera plus. C’est tout l’enjeu implicite du sommet de Paris, au-delà de Boko Haram et des jeunes filles enlevées – qui sont d ailleurs sans doute en partie au Cameroun, au Niger ou au Tchad.

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