Je suis fille d’immigrée, j’ai de la chance. J’ai de la chance car mon père est français, que je porte son nom et que je lui ressemble. J’ai appris cette semaine que j’avais aussi de la chance de m’appeler Léa.
Cette semaine, ma mère venait de trouver un emploi de télévendeuse dans une petite agence. On conseillait aux personnes ayant des prénoms à consonance étrangère d’en changer. Elle a refusé. Le même jour, on mettait fin à sa période d’essai.
J’ai réagi en lançant une pétition qui, à ce jour, compte plus de 40 000 signatures. Au-delà de cette histoire personnelle et malheureuse, j’ai voulu dénoncer un système.
Dans notre pays, le pragmatisme économique oblige certains à travestir leur identité patronymique pour mieux coller à la cible de clients potentiels. On estime aujourd’hui qu’une démarche commerciale est mieux acceptée si elle émane de Paul plutôt que de Mohammed. Les centres d’appel, qui pratiquent massivement cette « translation » des prénoms participent d’une vision sclérosée et passéiste de notre société dont l’archétype est l’homme blanc, de plus de 50 ans, de tradition catholique et hétérosexuel. Et ils aggravent la sous-représentativité des minorités en leur tenant ce discours déjà trop entendu : vous n’êtes pas totalement comme nous.
Ces situations discriminantes renvoient aux salarié-es le message qu’ils ne seront jamais pleinement accepté-es tel-les qu’elles et ils sont, que tous les aspects de leur identité ne sont pas compatibles avec notre bonne vielle société française et que, enfin, nous n’en avons toujours pas terminé avec le paradigme de l’assimilation qui présuppose qu’on doit se fondre dans la masse pour pouvoir faire société.
Ce système est d’autant plus pernicieux qu’il n’a parfois besoin d’aucune pression hiérarchique pour fonctionner. Les vendeurs changent d’eux-mêmes leurs prénoms pour augmenter la quantité de ventes sur lesquelles ils sont évalués et rémunérés. Le racisme en devient intégré et la violence symbolique associée presque justifiée.
Or qui sont les salariés-es des centres d’appel ? Souvent des personnes peu qualifiées ou dont l’accès au marché de l’emploi a été difficile. Dans ces centres d’appel, les contrats des salarié-es sont précaires, courts, dépendant des résultats de vente. Comment peut-on espérer qu’ils résistent aux recommandations pressantes de leurs employeurs ? Comment peuvent-ils dénoncer ces pratiques sans craindre de perdre leur emploi ? Si le droit du travail est censé protéger les salarié-es victimes de discrimination, ces pratiques insidieuses, sont moins caractérisables devant une juridiction, alors qu’elles sont sont d’une violence inouïe.
Il faut en finir, vite, avec ce secret de polichinelle. Ces centres d’appel sont des acteurs, volontaires ou non, du racisme latent qui irrigue notre société. En demandant au Défenseur des droits de se saisir de cette question, nous pourrons lever le voile sur des pratiques discriminatoires, qui empoisonnent notre société et abaissent de manière inquiétante le niveau de tolérance en France.
Nous sommes tous des Bouchra, Amina et Mohamed…
https://www.change.org/p/la-5%C3%A8me-agence-la-fin-de-la-discrimination-au-travail-c-est-pour-quand