Billet de blog 17 octobre 2013

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Pour en finir avec le poujadisme fiscal

Excédés par l'impasse du ras-le-bol fiscal, Léa Damotte-Martinovic, Mathieu Guibard et Grégoire Potton et un collectif de jeunes militants socialistes affirment que « la gauche progressiste ne doit plus s’excuser lorsqu’elle s’exprime sur l’impôt. Mettre en avant la légitimité de l’impôt, c’est assumer la place essentielle de l’Etat et des services publics dans la société. Ce combat est au cœur de l’identité de la gauche française ».

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Excédés par l'impasse du ras-le-bol fiscal, Léa Damotte-Martinovic, Mathieu Guibard et Grégoire Potton et un collectif de jeunes militants socialistes affirment que « la gauche progressiste ne doit plus s’excuser lorsqu’elle s’exprime sur l’impôt. Mettre en avant la légitimité de l’impôt, c’est assumer la place essentielle de l’Etat et des services publics dans la société. Ce combat est au cœur de l’identité de la gauche française ».


En 2002, près de cinquante ans après avoir été élu député poujadiste, Jean-Marie Le Pen proposait de supprimer l'impôt sur le revenu. Onze ans plus tard, le poujadisme n'est plus l'apanage de l'extrême droite: dans une tribune publiée dans les Echos lundi 14 octobre, « Supprimons l'impôt sur le revenu », le président des Jeunes actifs de l'UMP a repris à son compte cette proposition. Le glissement est terrifiant.

Imaginons un instant une France sans impôt : une année de lycée coûterait à chaque famille 11 000 euros, une journée d’hospitalisation coûterait près de 800 euros, et il faudrait recourir à des milices privées pour assurer notre sécurité. Cette vision désastreuse nous est apparue après des semaines de battage politique et médiatique sur le thème du ras-le-bol fiscal.

Au moment où le débat budgétaire et fiscal débute au Parlement, l’expérience du shutdown américain nous rappelle à quel point les contributions publiques sont nécessaires au bon fonctionnement de la société. Aujourd’hui, le discours de la gauche participe pourtant lui aussi à la remise en cause du bien-fondé de l’impôt. En effet, depuis notre arrivée au pouvoir, nous n’avons de cesse de tenir des propos défensifs, de nous justifier pour paraître sérieux et responsables. La gauche est historiquement à l’origine d’une plus grande justice des contributions publiques, mais nous nous sommes persuadés nous-mêmes que la bonne conduite de l’Etat impliquait par principe une diminution du “ poids de l'impôt ”. Les hausses d’impôts que nous prévoyons sont presque toujours justifiées par la nécessité gestionnaire de réduire la dette publique. Adoptant le discours traditionnel de la droite, la gauche s’est mise à penser l’impôt uniquement comme un outil d’assainissement des finances publiques.

L’impôt est cependant l’un des fondements de la cohésion sociale. Dès la Révolution française, l’impôt est d’abord conçu comme une contribution publique et citoyenne et non comme un tribut arbitraire finançant les dépenses du roi. Alors que le service militaire a aujourd’hui disparu, l’impôt demeure, avec le vote, l’un des deux liens concrets entre la société des citoyens et l’Etat. Sa fonction première est de financer les services publics et la solidarité nationale. Les principes républicains lui assignent également une fonction redistributrice: sa progressivité lui permet d’atténuer les inégalités économiques et sociales.

Pour sortir de l’impasse du “ ras-le-bol ” fiscal, la gauche doit radicalement changer son discours. Il nous faut remettre au goût du jour la pédagogie républicaine de l’impôt telle que la pratiquaient les républicains radicaux de la fin du XIXe siècle. Dans cette période de consolidation de la République, on exposait aux jeunes citoyens l’utilité de l’impôt. Le manuel d’instruction civique de Paul Bert comprenait ainsi un chapitre entier sur l’impôt et l’on pouvait y lire: « Il est juste de payer des impôts, non seulement pour les choses dont chacun profite tout de suite, comme les chemins, mais pour d’autres dont il semble qu’on ne profite pas. Tout ce qui se fait de bon dans un pays profite à tout le monde ». Ou encore: « Si l’on supprimait à la fois les impôts et les avantages qu’ils donnent, tout le monde demanderait qu’ils fussent rétablis. Il n’y a que les sauvages qui ne paient pas d’impôts. » Il nous faut revenir, dans tous nos discours sur l’impôt, à l’esprit originel de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen: la “ contribution publique ” doit prévaloir sur “ l”imposition ”, comme la “ cotisation sociale ” sur la “ charge sociale ”. Ne présentons plus la contribution citoyenne comme un poids écrasant les Français mais bien comme l’élément indispensable de la civilisation républicaine et solidaire. 

La gauche progressiste ne doit plus s’excuser lorsqu’elle s’exprime sur l’impôt. Mettre en avant la légitimité de l’impôt, c’est assumer la place essentielle de l’Etat et des services publics dans la société. Ce combat est au cœur de l’identité de la gauche française. Comme celle de l’impôt, l’image de l’Etat a été affaiblie par dix années d’exercice libéral du pouvoir par la droite. Le désengagement des pouvoirs publics, et ses avatars comme la RGPP, est devenue une religion qui malheureusement compte aujourd’hui des fidèles à gauche. Le débat sur le bon niveau de “ prélèvements obligatoires ” doit avoir lieu mais il ne peut constituer l’alpha et l’omega du discours socialiste. Pour renouer avec le civisme fiscal, nous devons sortir de ce discours ravageur que le Medef et la CGPME soufflent aux oreilles des responsables politiques et qui fait le lit d’un nouveau poujadisme fiscal.

La gauche revenue au pouvoir a la responsabilité de traduire ce nécessaire changement de discours en actes. Ayons le courage de remettre à plat l’impôt, pour le rendre plus lisible, moins jargonneux, et surtout plus juste. C’est seulement à cette condition que nous pourrons mettre fin à la défiance fiscale qui mine la cohésion de notre pays et s’oppose à une gestion de gauche de l’Etat.

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