En Inde, dans l’État d'Odisha, un collectif local lutte depuis huit ans contre l'accaparement des terres par la multinationale sidérurgique sud-coréenne Posco. SOLIDARITE et Peuples Solidaires dénoncent cette violation des droits humains et des lois nationales, qui marque la rupture, déjà bien entamée, entre intérêts financiers et droit des populations locales.
L’escalade de la violence après huit années de luttes
Le 22 juin 2013, le « Black Day Posco » marquait la commémoration de huit longues années de lutte acharnée entre la société sud-coréenne Posco, quatrième industrie sidérurgique mondiale, et le PPSS, organisation populaire de résistance à l’accaparement des terres en Odisha. Huit ans plus tôt jour pour jour, un protocole d’entente est signé entre la compagnie et le gouvernement fédéral de l’État indien d’Odisha, accordant les autorisations légales à la mise en place du projet.
Celui-ci comprend l’installation d’un complexe sidérurgique d’une production annuelle de 12 millions de tonnes, la mise à disposition d’un site pour l’exploitation minière et l’installation d’un port commercial sur la côte (situé à seulement 12 km du port de Paradeep). Pour cela, 4 000 acres de terres sont promises par le gouvernement, dont une majorité de terres forestières. Dans le district de Jagatsinghpur, 22 000 personnes habitant la région et vivant de l’agriculture et de la pêche sont vouées à être déplacées. Face aux 12 milliards de dollars d’investissement promis, la vie de quelques Dalits (Intouchables) et Adivasis (communauté tribale) ne pèse guère dans la décision du gouvernement (lire The price of Steel, rapport du groupe de recherche ESCR).
Pour mener à bien son projet, la société sud-coréenne reçoit l’approbation en octobre 2006 du ministère du commerce pour constituer une Zone économique spéciale (SEZ – Special Economic Zone), zone franche qui exempte la compagnie de toute taxe et la laisse entièrement libre de ses agissements. Or, dès 2005, les habitants de la région, principalement des villages de Govindapur et Dhinkia, se mobilisent au sein du PPSS. Plusieurs clashs ont lieu entre les représentants de la compagnie minière et les forces de police d’une part, et les militants d’autre part. En mai 2010, une première tentative musclée d’acquisition des terres se voit opposer une résistance farouche de la part des habitants.
Début 2013, la violence s’intensifie de façon dramatique. En février, 10 « platoons » de police (soit environ 300 hommes) encerclent le village de Govindapur et harcèlent ses habitants. Depuis lors, le village reste littéralement assiégé par les forces armées. Abus sexuels, interdiction de faire entrer des médicaments, limitation des déplacements de la population hors de l’enceinte du village témoignent des nombreuses exactions commises par l’Etat. En mars, une explosion non-revendiquée à la sortie d’un comité de village fait quatre morts dans les rangs des militants et servira de motif à l’arrestation en mai du leader du PPSS, accusé d’avoir fomenté l’attentat.
De leur côté, les populations locales ne cèdent pas. Tout au long de l’année, les militants, et particulièrement les femmes, n’ont eu de cesse de manifester pacifiquement. Pourtant, l’accaparement des terres par Posco-India (filiale de Posco, détenue à 100% par la maison mère) se poursuit avec l’inauguration officielle du site et le lancement des bases du projet.
Etat de non-droit : le divorce est prononcé entre le gouvernement indien et ses citoyens
Alors que le protocole d’entente et l’accord pour la zone franche sont arrivés à terme, en juin 2010, l’autorisation du ministre de l’environnement et des forêts (MoEF) accordée à Posco en 2011 est retirée en mars 2012 par le National Green Tribunal (NGT), autorité statuant sur la validité environnementale des projets économiques, pour cause d’irrégularités. Le tribunal propose alors de lancer une enquête sur les conséquences économiques et environnementales du projet, qui par ailleurs viole le Forest Rights Act de 2006, censé garantir une protection totale aux populations vivant dans et de la forêt, leur octroyant une entière liberté dans la gestion de leurs terres.
En octobre 2012, le rapport remis au NGT et au MoEF met l’accent sur l’absence d’études d’impact du projet. Sur le plan économique, il évoque la potentielle destruction de l’activité marine et agricole sur toute la région : la population essentiellement rurale, cultivant la noix de bétel, la noix de cajou ou encore le paddy et péchant le long des côtes, se verrait privée de toute source de revenu. Selon Sandeep K. Pattnaik, porte-parole du PPSS, le nombre d’emplois proposés par la société sud-coréenne est dérisoire comparé à la taille de la population ; emplois qui ne correspondent pas aux qualifications d’une population sans diplômes et délaissée depuis longtemps par l’Etat. Sur le plan écologique, les conséquences pourraient être désastreuses pour la région : entre pillage de l’eau douce et pollution du littoral, le rapport évoque notamment l’impact potentiel que pourrait avoir la destruction de la barrière naturelle qui protège les côtes des cyclones dévastateurs.
Le plus choquant, pour M. Pattnaik, est l’absence totale d’intérêt porté à la population par le gouvernement fédéral comme national, sans pourtant de réel gain économique : en 2005, Posco promettait des royalties de 27 roupies par tonne d’acier extraite, soit 0,46 US$, avec un prix sur le marché de 124$ la tonne en mai 2013. Le cas Posco témoigne parfaitement de la rupture entre un Etat national désintéressé par le bien-être de ses citoyens, un État fédéral autoritaire et corrompu et un monde rural, Intouchable, subissant l’humiliation et l’oppression permanente.
L’affaire Posco, censée être débattue en séance plénière au Parlement, est sans cesse reportée pour éviter toute controverse, une partie de l’opposition soutenant l’action du PPSS. Cela vient souligner l’hypocrisie d’un gouvernement qui a récemment accepté une réforme nationale foncière pour garantir l’accès à la terre aux petits paysans et sans-terres. A l’échelle fédérale, cette affaire marque la toute-puissance du « chief minister » (gouverneur), qui envoie sa police faire taire toute opposition.
Mobilisations et pressions internationales
Tandis que nos organisations en appellent à la responsabilité de l’entreprise comme du gouvernement, notamment à travers le lancement d’une pétition, une autre voie est actuellement explorée : trois associations –indiennes, sud-coréennes et hollandaises–, ont déposé une plainte fin 2012 auprès de l’OCDE-Watch, réseau international d’ONG veillant au respect des directives de l’OCDE. Celle-ci a alors demandé à plusieurs investisseurs de Posco, même minoritaires, de répondre des agissements de la société, statuant sur la responsabilité juridique des actionnaires en cas de violation des droits humains. Invité d’honneur de l’OCDE à Paris fin juin, M. Pattnaik a pu plaider sa cause devant les responsables de l’institution.
L’avenir des habitants d’Odisha reste aujourd’hui incertain. Pour autant, leur combat pour leur terre et leur dignité ne fléchira pas. SOLIDARITE et Peuples Solidaires soutiennent cette lutte et demandent la fin de l’accaparement des terres, le respect des lois et des droits fondamentaux des communautés affectées par le projet.
Emmanuel Schwartz pour SOLIDARITÉ
Carmen Heumann, présidente de Peuples Solidaires – ActionAid France