Les manifestations qui ont frappé le Brésil en juin ont montré combien le système politique est « formaliste et déconnecté des réalités », selon Elimar Pinheiro do Nascimento. La tension est retombée mais le sociologue brésilien pense que « d'autres tsunamis seront nécessaires pour que quelque chose change effectivement dans ce pays de l'inégalité, de l'arrogance et de l'impunité ».
En un peu plus de deux semaines, en juin, le Brésil a été frappé par un tsunami : des manifestations de jeunes et moins jeunes se sont répandues dans le pays, horizontalement (des petites aux grandes villes) et verticalement (des quartiers riches aux périphéries). Sans leaders affirmés, mobilisées par l'intermédiaire des réseaux, étrangères aux partis politiques et spontanées, elles se rapprochaient des manifestations observées ailleurs dans le monde, tout en ayant leurs spécificités.
Leur première conséquence fut de montrer que le Brésil n'est pas exactement celui que la propagande du gouvernement fédéral a dépeint durant des années. Si la pauvreté et les inégalités ont bien diminué, elle persistent cependant, et dans des dimensions colossales. Le Brésil a changé, mais il a peu changé. Les écoles continuent d'être des garderies pour les enfants ; les prisons, des lieux de perversité ; les hôpitaux, des maisons des horreurs ; la police tue les travailleurs pauvres et l'état du trafic routier nous stupéfie chaque jour. Les vieilles oligarchies tiennent toujours les leviers de commande, dans les provinces comme dans l'Union.
Le pays a perdu une part de son glamour international, les investissements devraient continuer à diminuer et l'inflation augmenter. La croissance économique, elle, devrait se maintenir. Cependant au niveau le plus bas jamais atteint ces vingt dernières années : moins de 2 %.
Il faut se rendre à l'évidence. La merveilleuse gestion du gouvernement fédéral s'est révélée inconsistante. Et les élections, données comme gagnées, sont revenues à leur juste place : celle de l'incertitude qui caractérise la démocratie.
La situation est devenue irrationnelle, avec d'évidentes contradictions au sein de la base du mouvement. Et l'opposition, quasi morte, est renée de ses cendres. Pas l'opposition traditionnelle du Parti de la social-démocratie (PSDB, centre-droit) mais une nouvelle, celle incarnée par Marina Silva, l'ancienne ministre de l'environnement de Lula, et Eduardo Campos, gouverneur du Pernambouc et président du Parti socialiste brésilien. La certitude de 2014 s'est évaporée. L'opportunisme est revenu à la surface, caractéristique principale et persistante de nos politiques.
Dans ce contexte, le système politique a montré combien il est formaliste et déconnecté des réalités. Nos représentants ne représentent qu'eux-mêmes et leurs financeurs. La politique est le meilleur métier pour vivre comme un nabab. Les avantages sont simplement honteux et insultants pour notre peuple, au sein duquel 37 % n'ont pas les moyens de prendre un bus.
Un nouveau sujet a émergé de la rue. Absolument détestable et révoltant, le détournement des fonds publics. Indigne des manières traditionnelles de pratiquer la politique, qu'elle soit de gauche ou de droite.
Les manifestations ont reflué mais il est probable qu'elles se reproduiront tant que les choses n'auront pas changé. Il ne s'agit que d'un « semblant » (en français dans le texte, ndt), un jeu en clair-obscur. Nous ne savons pas quand elles se reproduiront, ni avec quelle envergure, mais nous savons qu'elles referont leur apparition tôt ou tard. De même, on ne sait pas dans quelle mesure les autorités politiques seront capables de se recomposer, de rénover la pratique politique. Les changements seront probablement rares et les annonces nombreuses.
Le tsunami n'a pas changé le pays, et il ne pouvait pas le faire, mais il a créé les conditions favorables à ce que les changements se produisent. Le problème est que les gouvernants et les politiques vivent sous une cloche. Et ils passent leur temps à tenter d'inventer des raisons au tsunami : une conjoncture exceptionnelle, le doigt de la CIA, les manipulations de l'extrême droite. Incapables de voir la réalité, ou reconstituant la version qui les arrange, comme le menteur qui commence à croire ses propres mensonges.
Je crois que d'autres tsunamis seront nécessaires pour que quelque chose change effectivement dans ce pays de l'inégalité, de l'arrogance et de l'impunité.
Elimar Pinheiro do Nascimento, sociologue, professeur de l'Université de Brasilia
Traduction : Eric Delhaye
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