Billet de blog 18 novembre 2011

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Les Etats-Unis et l'Unesco, quarante ans de relations mouvementées

Après la décision américaine de suspendre ses contributions, Meryll David-Ismayil, doctorante, membre du Centre européen de sociologie et de science politique, revient sur les stratégies mises en œuvres par Washington pour défendre ses intérêts au sein de l'organisation.

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Après la décision américaine de suspendre ses contributions, Meryll David-Ismayil, doctorante, membre du Centre européen de sociologie et de science politique, revient sur les stratégies mises en œuvres par Washington pour défendre ses intérêts au sein de l'organisation.

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Illustration 1

Que les Etats-Unis aient décidé de suspendre leur contribution suite à l'adhésion de la Palestine comme Etat membre à part entière de l'Unesco n'a rien de surprenant. Depuis la création du système des Nations unies en 1945, la première puissance mondiale a souvent eu recours à ce procédé en contradiction totale avec ce qu'est le multilatéralisme par définition.

Si l'on s'en tient à l'Unesco, dès le début des années cinquante, les États-Unis menaçaient en effet de ne pas verser leur contribution si sept de leurs ressortissants fonctionnaires de l'Unesco, soupçonnés d'être «déloyaux» aux Etats-Unis (nous sommes alors en pleine folie maccarthyste), n'étaient pas immédiatement licenciés. Le directeur général de l'époque, Luther Evans (un Américain), s'exécutera, et bien que l'Organisation fût condamnée pour ces renvois abusifs aussi bien par le tribunal administratif de l'Organisation internationale du travail que par la Cour internationale de justice, les sept fonctionnaires internationaux américains ne seront jamais réintégrés.

Vingt ans plus tard, les Etats-Unis passeront cette fois à l'acte. Suite au vote, historique déjà (dans le sens où c'est la première fois dans l'histoire des Nations unies qu'une résolution condamne officiellement l'État d'Israël) de la résolution 3427 (1), les Etats-Unis décident en novembre 1974 de ne pas verser leur contribution pour l'exercice 1975-1976, qui représente à l'époque plus de 25% du budget de l'organisation. Celle-ci connaît alors une grave crise financière, à laquelle le nouveau directeur général de l'époque, le Sénégalais Amadou Mahtar M'Bow, a cependant fait face avec brio, de l'avis même de ses adversaires. Élu à la Conférence générale durant laquelle cette résolution fut votée (il n'en est donc en rien responsable, comme certains ont pu le laisser entendre), Amadou Mahtar M'Bow, premier noir africain à la tête d'une institution internationale de cette importance, a d'une part sollicité des prêts sans intérêt aux États membres, et d'autre part réalisé toutes les économies possibles: 1 654 374 dollars d'économies ont ainsi été réalisées sur les engagements de dépenses non liquidés de l'exercice 1973-1974. Irina Bokova, l'actuelle directrice générale de l'Unesco qui cherche en ce moment des solutions, aurait d'ailleurs tout intérêt à s'inspirer de son illustre prédécesseur; en convalescence à Paris (il a fêté ses 90 ans cette année), Amadou Mahtar M'Bow est toujours disposé à servir l'Unesco d'une manière ou d'une autre, notamment en faisant part de sa riche expérience.

Dix ans plus tard, en 1984, les Etats-Unis décident cette fois de quitter tout simplement l'Unesco, sans même avoir menacé auparavant de suspendre leur contribution. Trop de programmes de l'Organisation des nations unies pour l'éducation, la science, la culture et la communication, vont en effet à l'encontre des intérêts de secteurs et lobbies puissants aux États-Unis, que ce soit le complexe militaro-industriel (2), ou bien les multinationales de l'information et de la communication (3), et bien sûr le lobby pro-israélien (4). Cette Organisation, et notamment son Directeur général M'Bow, sont décidément un peu trop indépendants au goût de Washington qui décide donc de frapper un grand coup. Pendant près de vingt ans, l'Unesco sera ainsi amputée du quart de son budget.

Mais durant cette période, même en tant que non membre de l'Unesco, les Etats-Unis continueront d'y exercer une influence certaine. En 1989 par exemple, lorsque le Conseil exécutif de l'Unesco décide par consensus d'examiner, pour la toute première fois, la demande d'admission de la Palestine en tant qu'État membre à part entière, ils recourent à nouveau au chantage habituel, en menaçant de ne jamais revenir à l'Unesco si l'Organisation de libération de la Palestine devait y être admise comme État membre. C'est d'ailleurs dans ce contexte que furent votées les deux lois interdisant le financement d'une agence spécialisée des Nations unies qui accepterait les Palestiniens en tant qu'État membre à part entière, en l'absence d'accord de paix avec Israël, lois derrière lesquelles se retranche aujourd'hui l'administration d'Obama.

Il aura donc fallu plus de vingt ans, depuis leur première demande officielle, pour que les Palestiniens se voient reconnaître sur la scène onusienne en tant qu'Etat à part entière. Si, au regard de l'histoire longue, le fait que l'Unesco ait été la première institution des Nations unies à franchir ce pas n'a rien d'étonnant, cette organisation ayant été pionnière dans bien des domaines, cela l'est dans une certaine mesure lorsque l'on s'arrête sur certaines évolutions récentes de cette Organisation. Par exemple, il y a quelques années, le B'nai B'rith a acquis des bureaux à l'intérieur même de l'Unesco. Depuis 1997, «la plus ancienne organisation juive au monde», dont un des objectifs affichés est «de soutenir l'État d'Israël» comme on peut le lire sur leur site officiel, fait partie des «ONG et entités admises aux relations opérationnelles» avec l'Unesco. La nouvelle directrice générale de l'Unesco avait d'ailleurs reçu une délégation du B'nai B'rith International peu de temps après son entrée en fonction, et en novembre 2007, c'est à leur initiative qu'avait été votée la résolution 61 sur le souvenir de l'Holocauste, lors de la 34e session de la Conférence générale.

Malgré leur solide implantation à l'Unesco et leurs victoires passées (c'est notamment le B'nai B'rith qui, en 1991, avait «mené et gagné la campagne de condamnation de la clause «Sionisme égale racisme» de 1975» comme ils le revendiquent eux-mêmes) (5), les défenseurs de l'État d'Israël n'ont donc pas réussi à empêcher la reconnaissance de la Palestine en tant qu'Etat membre à part entière de cette organisation, et c'est peut-être cela qui, en fin de compte, est le plus surprenant. Doit-on y voir un affaiblissement de ce mouvement séculaire qui a pourtant des membres dans 58 pays et dont les représentants sont reçus régulièrement par les différents responsables politiques? Bien que ce serait de toute manière leur attribuer trop de pouvoirs que de penser qu'ils auraient pu, à eux seuls, l'empêcher, la question mérite tout de même d'être posée, ne serait-ce que pour soupeser les forces qui se sont affrontées lors de ce vote historique du 31 octobre 2011.

(1) La 18e Conférence générale de l'Unesco (novembre 1974) a condamné «Israël pour son attitude qui est en contradiction avec les buts de l'organisation tels qu'ils sont énoncés dans son Acte constitutif, du fait qu'il persiste à modifier le caractère historique de la ville de Jérusalem et à entreprendre des fouilles qui constituent un danger pour ses monuments, par suite de son occupation illégitime de cette ville». Résolution 3247.

(2) Qui ne pouvait voir que d'un mauvais œil les programmes sur «la paix et le désarmement».

(3) A propos du Nouvel ordre mondial de l'information et de la communication (Nomic), sur lequel la presse occidentale s'est également déchaînée.

(4) Outre le passif susmentionné, l'Unesco avait en effet des programmes d'aide aux mouvements de libération nationale, dont l'OLP mais pas seulement.

(5) Le 16 décembre 1991, la plus courte résolution dans toute l'histoire des Nations unies était adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU. La résolution 46/86 ne comprend en effet qu'une seule phrase : «L'Assemblée générale décide d'abroger la décision contenue dans sa résolution 3379 du 10 novembre 1975». Cette dernière résolution était par contre fortement argumentée mais «décrète que le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale», ce que n'ont jamais accepté les membres du B'nai B'rith et leurs alliés. En 2005, John Bolton, alors ambassadeur américain à l'ONU, avait entre autre déclaré que «la résolution 3379 de l'Assemblée Générale a été la plus mauvaise décision prise par les Nations unies», lors de deux cérémonies patronnées par le Congrès Juif américain et le B'nai B'rith International, marquant le 30ème anniversaire du vote de la résolution «infâme», selon les termes utilisés par les organisateurs.

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