«Dix longues années de violences et d’impasse, c’est déjà trop. Les autorités françaises peuvent et doivent mettre un terme à cette situation.» Par Thierry Brigaud, président de Médecins du Monde et Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France.
Il y a dix ans, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, décidait de fermer le centre de Sangatte, à Calais, où trouvaient refuge migrants et demandeurs d’asile face à la frontière franco-britannique naturelle formée par la Manche. Sangatte posait alors un « problème ». Cette décision prétendait le résoudre.
Il y a trois ans, Eric Besson ordonnait le démantèlement des « jungles », ces lieux précaires improvisés dans les fourrés, buissons et fossés par d’autres migrants sans toit ni refuge. Ces « jungles » posaient d’indéniables questions. Leur évacuation forcée fut la principale réponse.
L’été dernier, Manuel Valls a expulsé les migrants des squats de Calais, les jetant sur la route et ajoutant l’errance à leur exil.
Le 13 novembre 2012, Dominique Baudis, défenseur des droits, alertait le ministère de l’intérieur sur les pratiques de «vérifications successives», les «expulsions de fait» et le «harcèlement» dont sont «victimes les migrants présents dans le Calaisis de la part des forces de l’ordre», «que la hiérarchie policière ne peut ignorer».
Une décennie au cours de laquelle des hommes, des femmes, et des enfants –du Kosovo, du Soudan, d’Afghanistan, d’Irak, de Somalie, d’Erythrée, d’Ethiopie et de Syrie– ont continué à arriver à Calais, fuyant de nouveaux conflits, des persécutions, des violations massives des droits de l’homme…

Une décennie d’actions associatives, de mobilisations militantes et citoyennes pour tenter de pallier le manque de solution durable et l’absence de protection. Des défenseurs des droits humains n’ont jamais cessé d’être présents pour aider. Ces sentinelles ont aussi rappelé par leurs actes et leurs paroles qu’aucun argument administratif ne peut justifier les évacuations forcées sans garanties (information, relogement, voies de recours), ni les arrestations musclées ou violentes, ni la pression permanente qui visent ces personnes déracinées et parfois même ceux qui les aident.
Au cœur d’une Europe de libre circulation, Calais opère comme un révélateur. Révélateur des conséquences liées aux intenses contrôles qui subsistent autour de cette frontière intérieure. Révélateur des causes qui poussent un jour une personne à devoir abandonner, du jour au lendemain, sa vie, sa famille, son pays devant la violence généralisée ou les persécutions individuelles, politiques, religieuses, ethniques. Ces raisons suffisent à trouver la force d’affronter le long et périlleux chemin de l’exil, le courage de tenir quand l’exploitation ou la détention sont l’horizon. Chaque trajectoire est unique, mais toutes ont la violence en commun. Beaucoup fuient dans les pays limitrophes du leur, ils arrivent en moins grand nombre en Europe. Calais incarne et révèle tout autant les maux qui les poussent à l’exil, comme ceux de cette Europe face à leur venue. Sa position, ambiguë et contradictoire, oppose trop souvent ses discours et ses pratiques, au détriment du devoir de protection.
Dix longues années de violences et d’impasse, c’est déjà trop. Les autorités françaises peuvent et doivent mettre un terme à cette situation.
La tâche n’est pas insurmontable. Le terrain est balisé par les textes internationaux protégeant les droits humains, les rapports des instances chargées de veiller à leur bonne application, les rappels à la loi des juridictions françaises et les avis des organisations non gouvernementales.
Les contrôles migratoires opérés à Calais ne doivent pas faire exception. Avec ou sans titre de séjour, qu’ils soient migrants ou réfugiés, chacun de ces exilés a droit au respect absolu de ses droits fondamentaux. Le devoir de protection exige qu’aucun ne subisse un renvoi vers les persécutions. Le respect de leur dignité impose qu’aucun ne soit expulsé d’un lieu de vie, même précaire, sans réelle alternative. Il implique aussi qu’aucun ne soit exposé à des mauvais traitements par l’action ou l’inaction des représentants de l’Etat.
Ce n’est pas un défi mais un devoir qui incombe aux autorités françaises : celui d’en finir avec les mesures et annonces de circonstances pour remédier de manière durable à ce « problème » de Calais.

Amnesty International et Médecins du monde soutiennent le livre de Marion Osmont, «Des hommes vivent ici», éditions Images plurielles, en librairie depuis le 5 décembre 2012, et dont est extraite la photo qui figure dans cet article.