« En apprenant qu’Edouard Martin était tête de liste, j’ai pensé à Lula, qui n’était ni plus ni moins ouvrier que lui, pourtant tant loué de ce côté de l’Atlantique comme en Amérique latine », répond le député socialiste Jérôme Guedj, président du conseil général de l'Essonne, à ceux qui crient à la trahison après le choix du leader de Florange de conduire une liste socialiste aux élections européennes.
Etonnante, cette chorale d’anges de la vertu qui déclame depuis mardi un Hosanna pétri de morale sur le syndicalisme révolutionnaire. La cible de ces clercs chantant la classe ouvrière ciselée dans le marbre d’une nostalgie sentant le renfermé ? Edouard Martin, coupable selon ces esthètes de la lutte sociale pure et parfaite, classe contre classe, de haute trahison. Hum hum… En guise de trahison : l’engagement civique, sur une liste aux élections européennes, en compagnie de socialistes.
On devine en sous-texte leur cruelle déception. L’image de leur héros imaginaire en prend un coup. Ces professeurs de bien-pensance, qui viennent autant de gauche que de droite, voient leurs analyses sur les victimes de la mondialisation, masses électorales dérivant inexorablement vers l’extrême droite, en prendre un coup. Un ouvrier, menant une liste aux européennes avec des socialistes ? Ça perturbe leur vision du monde, divisé en deux camps réduits à une irréfragable opposition, que rien ni personne ne doit venir remettre en cause. Heureusement, le monde est parfois plus complexe, souvent plus subtil. Certainement auraient-ils préféré le voir en tête d’une liste qui fasse selon leurs critères plus « ouvrièrement correcte ».
Edouard Martin n’a pourtant jamais rien cherché d’autre qu’à défendre les intérêts matériels et moraux de ses camarades de travail et de combat. Lui et tous ceux de Florange qui ont refusé de se laisser détruire par la violence d’un groupe mondialisé sans scrupule, la MittalSteel Company, en restant debout, en bataillant avec fierté pour le maintien de l’activité du haut-fourneau de Florange, que nous savons tous viable. Edouard Martin et ses camarades, en se défendant eux-mêmes, ont défendu l’honneur du salariat et la dignité des travailleurs. Ils ont donné une leçon à tous. Une leçon politique, une leçon d’engagement. Et si cette bataille n’a pas eu l’issue espérée, le fait d’avoir été menée est une victoire en soi. On ne gagne jamais à ne pas monter au front et on est certain de perdre à refuser d’y aller.
« Je n’ai de leçon à recevoir de personne », déclare-t-il au Monde ce 18 décembre. Il a même à en donner, et je crois qu’il est tout autant si ce n’est plus légitime à en donner que ceux dont c’est la profession de faire la leçon, ces mille bardes rémunérés pour penser et s’exprimer en place et à la place d’un peuple mythifié, d’une classe ouvrière esthétisée, de citoyens qui trop souvent n’usent et n’abusent pas assez de ce droit fondamental et vital en démocratie qui est de l’ouvrir.
On dénie donc la légitimité à un homme de solliciter un mandat auprès de ses égaux sur une liste socialiste au nom d’arguments qui me semblent effrayants. On a mille fois, et parfois avec des arguments légitimes que je ne renierai pas, reproché à mon parti de s’être détourné du monde ouvrier, de ses aspirations et de ses rêves, de ses espérances et de ses revendications. Et bien je crois que c’est l’honneur et la vocation du Parti socialiste, organisation pluraliste, de savoir faire cohabiter et converger en son sein et dans la galaxie politique qu’il agrège, à savoir l’ensemble de la gauche, des individualités et des orientations qui ne semblent pas raccord au premier abord.
L’unité contre toute forme de sectarisme. La recherche constante de ce qui est commun à la gauche pour forger l’alliance de ses forces et préparer les victoires politiques sans lesquelles aucun progrès social n’est envisageable. Cette tension vers l’unité des forces sociales et politiques aspirant au progrès humain et à la libération de l’individu des aliénations économiques et culturelles, c’est l’histoire de la gauche. C’est souvent compliqué, il faut savoir surmonter ses différences, aplanir les divergences, déployer beaucoup d’intelligence pour arriver à des compromis qui n’insultent personne tout en satisfaisant le plus grand nombre, mais depuis la fondation de la SFIO jusqu’à aujourd’hui, en passant le Front populaire, le programme commun ou encore la gauche plurielle, rien n’a été possible à gauche sans qu’au préalable l’unité autour du minimum soit fait. Et sans minimum, pas de maximum. Ce qui vaut en logique vaut en politique.
En apprenant qu’Edouard Martin était tête de liste, j’ai pensé à Lula, qui n’était ni plus ni moins ouvrier que lui, pourtant tant loué de ce côté de l’Atlantique comme en Amérique latine. En apprenant qu’Edouard Martin était tête de liste, j’ai pensé à cette Europe à laquelle nous n’avons jamais renoncé, et pour laquelle nous continuerons à nous battre, où les salariés ne seront plus mis en concurrence, où de nouvelles normes économiques, sociales et écologiques seront imaginées et proposées en partage au reste du monde pour que l’ensemble de nos sociétés sorte de cette guerre économique qui fait tant de victimes et entre dans une ère de collaboration et de juste échange. En apprenant qu’Edouard Martin était tête de liste, en lisant son interview au Monde cet après-midi, j’ai tout simplement été ravi de constater que notre parti avait en lui la force de réinvestir le combat de l’internationalisme. « On attend de toi que tu mènes à Strasbourg le même combat qu'à Florange », lui a dit Harlem Désir pour le convaincre. Excellente feuille de route. Quel que soit le cadre, défendre ses convictions n’est jamais une trahison. C’est même une obligation.