François Hollande a conditionné sa candidature à l’élection présidentielle à « l’inversion de la courbe du chômage ». Il fera donc le nécessaire pour infléchir la courbe comptable du chômage, celle construite à partir des inscriptions en fin de mois de demandeurs d’emplois recensées dans a catégorie A de Pôle Emploi. Mais il n’aura pas tout fait pour réorienter la politique économique et rétablir le plein-emploi.
Au-delà de l’inversion comptable de la courbe du chômage…
La catégorie A avait été construite de telle sorte que ne soient recensés « que » les individus tenus de faire une recherche d’emploi, mais n’ayant pas travaillé une seule heure au cours du mois. Elle exclut, par définition, les individus non tenus de faire une recherche d’emploi, tels que ceux qui sont placés en formation, répertoriés dans la catégorie D. Il est ainsi possible, d’un point de vue comptable, d’inverser la courbe de la catégorie A en envoyant, comme le prévoit le plan annoncé par le chef de l’Etat, 500 000 chômeurs en formation, sans qu’ils n’aient la garantie d’obtenir un emploi, au terme de celle-ci.
Lors de la publication des chiffres du chômage en décembre, la ministre du travail se satisfaisait du constat que le nombre de chômeurs de catégorie A ait baissé de 0,1% en novembre pour « redescendre » à 3 574 800. Au cours de ces trois derniers mois, malgré la forte hausse d’octobre, le chômage ne se serait accru « que » de 0,1% attestant d’une « stabilisation », laissant présager d’une inversion de la courbe en 2016. Cela sera-t-il le cas ?
… Un emploi dégradé et déjà flexible
Une lecture détaillée des chiffres du chômage donne des indications inquiétantes sur l’état du « marché du travail ». La courbe du chômage toutes catégories confondues (A, B et C), incluant les chômeurs ayant eu une activité réduite pendant le mois, ne s’inverse pas.
Les catégories B et C avaient également, en leur temps, été construites pour écarter des chiffres de l’ancienne catégorie 1 de l’ANPE celles et ceux qui ont eu la possibilité de travailler plus ou moins de 78 heures dans le mois, soit qu’ils aient accompli des missions d’intérim, du travail temporaire ou à temps partiel, mais qui n’en sont pas moins sans emploi et à la recherche d’un emploi, et donc jadis recensés comme chômeurs.
En réalité, le nombre total des chômeurs en France métropolitaine inscrits à Pôle emploi, soit 5 442 500 personnes fin novembre, reste en hausse de 0,1% par rapport à octobre et de 5,1% sur un an. Le chômage des jeunes ne s’est réduit que grâce à la multiplication des contrats aidés (dont l’arsenal sera complété par une nouvelle prime à l’embauche dans les PME). Le chômage des seniors est accentué par le recul de l’âge de la retraite. Le chômage de longue durée poursuit son ascension.
Les variations de la catégorie A sont inversement concomitantes à celles des catégories B et C (demandeurs d’emploi ayant eu respectivement une activité de moins de 78 heures et de plus de 78 heures pendant le mois). Les catégories B et C incluent les travailleurs victimes des fins de contrats courts (CDD et intérims), ces derniers basculant le mois suivant dans la catégorie A s’ils ne retrouvent pas d’emplois. Ainsi s’explique la forte hausse des chiffres de la catégorie A du mois d’octobre (+0,9%, soit 42 000 chômeurs supplémentaires), concomitante, le même mois, à la baisse du nombre de chômeurs catégories B et C. En novembre, les effectifs des catégories B et C ont d’ailleurs recommencé à gonfler, alors que la catégorie A se dégonflait légèrement, certains ayant retrouvé des emplois, pour l’essentiel précaires. La baisse du mois de novembre est donc en trompe l’œil. Les fins de CDD, intervenues courant novembre et répertoriées dans les catégories B et C, basculeront en décembre dans la catégorie A.
Ces détails indiquent que le « marché du travail » est devenu particulièrement « flexible », sans qu’il n’ait été nécessaire de modifier le code du travail. Malgré tout, le MEDEF fait campagne en faveur d’un « assouplissement » du code du travail. Cet « assouplissement » ne produira aucun effet positif sur l’emploi, mais affaiblira le travailleur dans son face à face avec l’employeur, sur un marché du travail déjà « flexible ».
Contrairement à une idée reçue, il n’existe aucune étude démontrant l’existence d’un lien entre les performances économiques et la législation protectrice de l’emploi dans les pays de l’OCDE. Quatre travailleurs sur dix changent d’emplois au cours de l’année. 82% des emplois créés sont des CDD. Mais, dès lors que l’activité des entreprises se stabilise ou se développe, ces CDD sont transformés en CDI. Les CDI, qui reste la norme, représentent 87% du stock d’emploi total (contre 10% pour les CDD). Pour autant, l’emploi stable ne se développera qu’en présence d’une reprise de l’économie, celle-ci restant fragile malgré la baisse de l’euro et du pétrole.
La faillite du CICE
A cet égard, François Hollande mise plus que jamais sur le Crédit d’impôt compétitivité-emploi, qu’il pérennisera sous forme d’une baisse générale et permanente de cotisations sociales à la demande du MEDEF, pour relancer l’économie par « l’offre ».
Malheureusement, il n’existe pas plus, en France, d’étude économétrique ayant établi l’existence d’un lien entre le coût du travail et l’emploi à l’échelle macroéconomique. Plus particulièrement, le CICE, octroyé aux entreprises sans aucune contrepartie, ne produit toujours pas les effets annoncés sur l’investissement et l’emploi. Les marges des entreprises ont retrouvé leur niveau d’avant la crise. Mais 85% des bénéfices restent distribués sous forme de dividendes. Les 2 points de PIB transférés d’ici 2017 en faveur des profits n’auront que marginalement été consacrés à l’investissement et l’emploi. Pour un coût de 16 milliards d'euro, un million d'emplois socialement et écologiquement utiles, rémunéré au salaire moyen, auraient pu être créés dans le secteur non marchand.
Changer de politique budgétaire, financer les activités utiles, réduire le temps de travail
Contrairement à un vieil adage présidentiel, tout n’a pas été essayé en Europe pour lutter contre le sous-emploi de masse qui frappe tous les pays de la zone euro. Les textes européens (Traité budgétaire, Six packs, Two packs) interdisent désormais d’explorer la piste d’inspiration keynésienne. Les Etats membres de la zone euro sont tous tenus d’appliquer, sous la surveillance de la Commission européenne et sous des variantes propres à chaque Etat membre, des politiques de « consolidation budgétaire » et « réformes structurelles du marché du travail », avec l’insuccès que l’on sait.
La zone euro est désormais au bord de la déflation, situation synonyme d’insuffisance de demande. La BCE l’a compris à tel point qu’elle tente de stimuler la demande de crédit par une politique monétaire expansionniste. Mais celle-ci restera impuissante si elle n’est pas relayée par des politiques budgétaires volontaristes, que les textes européens proscrivent désormais. L’action de François Hollande contre le chômage est à cet égard entachée de deux pêchés originels : le Traité budgétaire et le CICE. Dans la négociation avec les institutions européennes, le chef de l’exécutif avait obtenu, en contrepartie de l’adoption du Traité budgétaire, l’autorisation de déroger au pacte de stabilité (La France n’aura jamais respecté le critère des 3% de déficit public entre 2012 et 2017) pour mettre en œuvre sa politique de l’offre symbolisée par le pacte de responsabilité. Ce sont ainsi 40 milliards qui seront consacrés en 2017 au redressement du taux de marge des entreprises. Celles-ci n’ont aucune raison d’accroître leur stock de capital, face à une demande atone. Le pacte de responsabilité n’aura alors servi qu’à réduire le périmètre de l’Etat social et à déplacer le partage du gâteau de 2 points de PIB en faveur des dividendes.
Ainsi donc, les marges de manœuvre en matière de politique budgétaire existaient (2 points de PIB ne sont pas négligeables !). En théorie (nonobstant les textes européens et les objections de la chancelière), cette capacité budgétaire pourrait même être accrue, tant la France s’endette auprès des marchés à un taux quasiment nul. Ces ressources pourraient être consacrées à la redistribution, au financement de projets d’infrastructures, à la création d’emplois socialement utiles et écologiquement responsables, ou encore à la réduction du temps de travail. Car, pour les progressistes, le progrès technique et la croissance ne sauraient avoir d’autres finalités que l’amélioration du bien être collectif et la réduction de la peine au travail. C’est cette philosophie sociale, et non celle de la maximisation du taux de marge, qui rétablira le plein-emploi et la confiance de notre peuple en notre capacité à servir sa cause.