Billet de blog 19 février 2011

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Plusieurs blessés lors d’une marche empêchée à Alger

Arab Chih, journaliste du quotidien algérien Liberté raconte comment la police a violemment empêché la marche de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie, samedi 19 février.

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Arab Chih, journaliste du quotidien algérien Liberté raconte comment la police a violemment empêché la marche de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie, samedi 19 février.

Les autorités algériennes ont à nouveau durement empêché, aujourd’hui à Alger, la marche à laquelle a appelé la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) née au lendemain des violentes émeutes du début janvier. Le coût humain de l’intervention policière est lourd : plusieurs blessés - une dizaine selon le Rassemblement pour la Culture et la démocratie (RCD) - ont été enregistrés dans le rang des manifestants.

Encerclé et roué de coups par des policiers, Tahar Besbas, député RCD et ancien syndicaliste, a été grièvement blessé à la tête et au niveau du pied avant d’être évacué, dans un état d’inconscience, à l’hôpital. Sa vie est hors de danger. Un avocat, Me Dabouz, a été lui aussi blessé au niveau du pied. « J’étais avec Ali Yahia Abdenour quand nous étions pris en étau par une grappe de policiers. J’essayais de protéger celui-ci qui, malade, a failli s’évanouir. Soudain, un policier m’a asséné un coup au niveau pied », témoigne-t-il en montrant sa blessure. Frappé au tibia par un policier, Rachid Malaoui, un autre syndicaliste, diabétique, a perdu connaissance. Le même sort est connu par Fetta Sadat, membre de la direction du RCD et représentante d’Amnesty international en Algérie, des suites de son rudoiement par un policier.

C’était prévisible dés la matinée : l’action de l’opposition sera tuée dans l’œuf. La capitale algérienne avait tout d’une citadelle assiégée. Comme samedi dernier, un impressionnant dispositif sécuritaire fort de 40 000 policiers y a été encore une fois déployé pour en interdire l’accès aux citoyens venant de Kabylie et d’autres régions du pays. La place du 1er mai d’où devait s’ébranler la marche pour aller échouer quatre kilomètres plus loin à la place des Martyrs, elle, est complètement quadrillée par une nuée de policiers placés çà et là dans tous les accès donnant sur ce point de ralliement. Idem pour le lieu où s’est tenu la semaine passé le rassemblement des partisans du changement, littéralement pris d’assaut par la police.

« Il nous est impossible de nous rassembler. Ils ont tout bouché. C’est la cinquième fois qu’on m’oblige à déguerpir», lâche un député du RCD. Pour qu’aucun regroupement ne puisse se former, les policiers interviennent dés que des piétons trainent la patte les sommant à décamper. Les journalistes, nationaux et étrangers, ne sont pas logés à meilleur enseigne. Eux aussi ont payé les frais de cette "prévoyance" policière en se voyant balancer d’un coin à un autre. « Si vous ne voulez pas qu’on travaille normalement, vous auriez du nous aviser à l’avance pour nous éviter le déplacement», s’emporte une photographe.

Pourtant, cette présence massive et tapageuse des policiers a été prise en défaut par un groupe de militants de la CNDC qui ont réussi, aux environs de 9 heures 30, à se rassembler, juste à l’entrée du boulevard Mohamed Belouizdad, en face du bâtiment abritant le ministère de la jeunesse et des sports. Pancartes en l’air, ils crient à gorge déployée leur soif de changement et leur rejet du régime. Mis à part quelques députés du RCD, aucune figure de proue de la CNDC n’y était encore.

Ayant perdu son passeport à Paris, Saïd Sadi n’a pu rejoindre la manifestation. Les policiers repoussaient énergiquement la foule vers le quartier de Belcourt. Un traquenard ! Instrumentalisés par certains notables du régime à l’image du maire de Sidi M’hamed, des jeunes de ce quartier populeux se sont jurés, la veille, de s’en prendre aux manifestants. Ces derniers sont bombardés avec des patates et de l’eau chaude des toits et balcons des immeubles.

L’apparition, aux environs de 10 heures 30, d’Ali Yahia Abdenour, le patriarche du combat pour les droits de l’Homme, est accueillie par un tonnerre d’applaudissements. Un grand rassemblement s’est alors formé et, comme ragaillardis par la présence tutélaire du vieux militant des libertés, les partisans de la CNCD ont tenté de forcer le cordon de policiers. Peine perdue. Ils seraient bloqués quelques dizaines de mètres plus loin et le vétéran Ali-Yahia sera pris en sandwich par une escouade de policiers pendant que leur chef leur crie: « Poussez le à l’intérieur de l’immeuble ». « Ils n’ont pas honte de réserver un tel traitement à un vieillard de 90 ans », s’indigne un citoyen.

Plus grave encore, quand un groupuscule de jeunes contre-manifestants se sont amenés pour faire entendre leur soutien à Bouteflika, les policiers se montreront d’une passivité déconcertante à leur égard. Ils criaient comme bon leur semblaient et se déplaçaient à leur guise sans qu’ils soient inquiétés par quiconque. « Foutez le camp d’ici. Les enfants de Belcourt sont avec Bouteflika », lançaient-ils à la face de l’autre camp. De petits heurts s’étaient déclenchés. Reprenant à leur compte le refrain des manifestants « le peuple veut la chute du régime », les contre-manifestants s’époumonaient : « le peuple veut le cannabis gratuitement ».

Ainsi, en montant les citoyens les uns contre les autres, le régime s’approprie une recette essayée en Tunisie et en Egypte mais sans grands résultats.

Question : la CNDC a-t-elle réussi à mobiliser les foules ? Incontestablement, le nombre de citoyens qui ont investis hier la capitale a été plus importante que celui de la dernière fois. « Le nombre de manifestant a été beaucoup plus grand que samedi dernier mais celui des policiers aussi », plaisante Nafaa, un Kabyle qui a réussi à passer à travers les mailles des policiers.

Que décidera la CNDC maintenant que sa deuxième tentative en une semaine d’organiser une marche à Alger n’a pas été couronnée de succès même si sur le plan politique elle a marqué un bon point ? Comment réagiront les américains et européens face à la posture de défiance adoptée par les autorités algériennes en passant outre leur invitation à respecter le droit des Algériens à manifester ? On le saura bientôt.

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