Plusieurs professeurs du lycée Condorcet (Paris) interpellent le directeur de Sciences-Po, Richard Descoings, sur sa politique de concours. D'après eux, réussir les examens d'entrée nécessite bien souvent d'avoir recours à des officines privées extrêmement coûteuses, en plus et au détriment des cours ordinaires.
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Monsieur le Directeur,
Depuis quelques années les instituts d'études politiques (IEP) ont décidé de recruter leurs étudiants au niveau du baccalauréat. L'attrait de ces formations est réel et nombre de familles souhaitent voir leurs enfants les intégrer. Quoi de plus normal? Pourtant les exigences du concours d'entrée nécessitent, semble-t-il, une préparation particulière. Il s'ensuit pour les futurs candidats un véritable parcours du combattant où les cours en instituts privés, les séquences de préparation intensive durant les vacances scolaires et les concours «blancs» surchargent à l'extrême l'emploi du temps des élèves. Les professeurs de terminale constatent alors le désengagement progressif, et parfois sans retour possible, d'une partie, d'année en année plus nombreuse, de leurs classes. Absences épisodiques puis récurrentes, devoirs non rendus, apathie en classe sont les dégâts collatéraux subis par des adolescents souvent mal informés des enjeux réels d'une classe terminale. Le niveau des dossiers qu'ils présentent à l'entrée des formations post-bac s'en ressent parfois cruellement.
Ayant finalement échoué (dans leur grande majorité) aux concours des IEP, ces élèves auront joué le jeu perdant-perdant de ceux qui veulent courir deux lièvres à la fois. Les officines privées qui préparent ces candidats sont des centres d'entraînement intensif où les jeunes gens, à des tarifs socialement sélectifs, apprennent à formater leur pensée. Est-ce cela que veulent les IEP? Sont-ils conscients des dégâts? Les chantres de la discrimination positive sont, semble-t-il, prêts à assumer la sélection par l' argent.
Si la situation actuelle devait durer, aucun doute que d'autres formations viendraient bientôt sur ce marché lucratif et nous assisterions alors à une privatisation rampante de la scolarité terminale. La démocratie n'a rien à y gagner.
Monsieur le Directeur, vous avez, dans de nombreuses occasions, dit votre attachement à la justice sociale en matière d'éducation.Vous serez certainement sensible au problème soulevé par cette lettre.
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Ont signé cette lettre les professeurs:
Christine AMIECH (lettres), Cécile ANDREAU (histoire), Odile BEGUIN (sciences de la vie), Bruno COUCHENEY (mathématiques), Françoise COURSAGET (lettres), Catherine DUVERNET (sciences économiques), Henri FLECKINGER (physique-chimie), Virginie HUCHON (allemand), Patricia KARP (espagnol), Véronique LAVOREL (lettres), Pierre LEROY (histoire), Serge LORIT (mathématiques), Francine MOFFET (anglais),Christophe MORE (physique-chimie), Christian NICOLETTI (philosophie), Béatrice PASCAL (espagnol), Hervé PEPIN (mathématiques), Marie-hélène RICHARD (physique-chimie), Jean-Jacques ROILLET (mathématique), Jean-luc SAULNIER (histoire), Marion SOLOTAREFF (géographie), Eric VOGEL (physiquechimie), professeurs au lycée Condorcet, Paris.