Billet de blog 19 octobre 2011

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Clap de fin au feuilleton des «affaires» !

Indépendance de la justice, statut pénal du chef de l'Etat et secret défense: Anas Jaballah, ingénieur, et El Yamine Soum, sociologue, proposent trois réformes pour prévenir la survenue de nouveaux scandales.

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Indépendance de la justice, statut pénal du chef de l'Etat et secret défense: Anas Jaballah, ingénieur, et El Yamine Soum, sociologue, proposent trois réformes pour prévenir la survenue de nouveaux scandales.

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Clearstream, Servier, Woerth-Bettencourt, Karachi, frégates de Taïwan, emplois fictifs de la mairie de Paris, Guérini, etc. La liste de ces feuilletons politico-judiciaires, que nous avons pris l'habitude de désigner par le terme étrangement neutre d'«affaires», continue de s'allonger sans qu'aucune réforme sérieuse ne soit envisagée pour les prévenir. D'aucuns affirmeront que ces affaires sont le lot commun d'une société composée d'êtres humains plus ou moins intègres: d'ailleurs, la vie politique française est historiquement rythmée par ces affaires, comme en témoignent «le scandale des diamants» sous Valéry Giscard d'Estaing ou encore «l'affaire Panama» au XIXe siècle. Mais les épisodes de ce feuilleton sont, aujourd'hui, encore plus fréquents et il ne se passe plus un mois sans une nouvelle affaire ou sans nouveaux rebondissements dans une affaire existante. Or, ces scandales ne donnent malheureusement pas lieu à une réflexion en profondeur sur l'ampleur de leurs effets ni sur l'origine de leurs causes premières.

Lorsqu'elles sont avérées, ces affaires représentent pourtant un important gâchis d'argent public –près de 500 millions d'euros en 2011 pour la seule affaire des frégates de Taïwan–, gâchis d'autant plus impardonnable que nos finances publiques sont exsangues. Parfois, ce sont des vies humaines qui sont en jeu: dans l'affaire Karachi, 14 personnes, dont 11 Français, ont ainsi été tuées au Pakistan dans un attentat en mai 2002.

Outre leurs effets directs, ces affaires médiatisées monopolisent le débat public, décrédibilisent notre classe politique et font le lit des partis qui usent du leitmotiv «tous pourris», à l'instar du Front National, pourtant loin d'être exemplaire en la matière. Enfin, l'impunité qui conclue trop souvent ces affaires donne le sentiment d'une justice à deux vitesses, bien loin de la «République irréprochable» promise par le candidat Nicolas Sarkozy en 2007.

Ces pratiques résultent sans doute d'une transformation des valeurs dans notre société à travers la recherche de la notoriété, du pouvoir et du profit au détriment de la légitimité, du talent et du mérite. Elles démontrent en particulier qu'une partie significative de nos représentants conçoit le terrain politique comme un moyen de servir leurs intérêts financiers. Ils sont en cela bien aidés par le renouvellement très faible de la classe politique, qui favorise le huis clos sécurisant dans lequel se déroulent ces affaires. Répondre à ce glissement dangereux exige l'attention des citoyens car ce sont eux qui décident en définitive de confirmer ou non leur confiance dans des dirigeants politiques condamnés par la justice.

L'engagement politique d'un plus grand nombre de citoyens, également nécessaire pour renouveler le personnel politique, pourrait être facilité par l'instauration du non cumul des mandats. Une telle disposition, longtemps promise par la gauche mais jamais réalisée, limiterait le huis clos évoqué et offrirait en prime une meilleure représentativité de nos élus avec davantage de femmes et de personnes issues de catégories socioprofessionnelles aujourd'hui sous-représentées.

Il est par ailleurs nécessaire de réformer le statut des élus en instaurant un contrat de travail qui encadre la question fondamentale des conflits d'intérêts tout en fixant de façon transparente les niveaux de rémunérations afin d'éviter la suspicion que la situation actuelle entretient. L'exemplarité de nos élus est une nécessité car comme le formulait Karl Marx: «Quand, au sommet de l'État, on joue du violon, comment ne pas s'attendre à ce que ceux qui sont en bas se mettent à danser?»

Si le manque d'éthique et de morale publique est au cœur de ces affaires, on ne peut se contenter de le regretter et il convient au contraire d'envisager les contre-pouvoirs capables de le combler, afin que «le pouvoir arrête le pouvoir». Notre cadre législatif et judiciaire souffre en l'occurrence de trois grands vices de conception:

- le premier et le plus préoccupant de ces vices est la dépendance des juges du Parquet vis-à-vis du Gardes des Sceaux et donc du pouvoir exécutif. Cette situation maintient une pression du pouvoir politique sur le pouvoir judiciaire et représente une absurdité, comme l'a rappelé la Cour européenne des droits de l'homme qui a condamné la France en 2010 pour ce motif. Les modèles dont on pourrait s'inspirer pour remédier à cette exception française ne manquent pourtant pas, ne serait-ce qu'en Europe.

- la seconde incongruité vient du statut pénal du chef de l'Etat et de ses nombreux pouvoirs de nomination. Conformément au souhait archaïque du général De Gaulle, ces privilèges élèvent le monarque républicain au-dessus de la condition de justiciable, pourtant commune à tous les autres citoyens. En particulier, l'immunité présidentielle mérite d'être abrogée, quitte à charger des magistrats de trier les plaintes abusives dont pourrait faire l'objet le chef de l'Etat.

- enfin, le recours abusif au secret défense est un outil redoutable pour occulter les responsabilités du gouvernement dans certaines affaires. Ainsi, dans l'affaire Karachi, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, en ont fait usage pour entraver le travail de la Justice. Il n'est pourtant pas compliqué d'attribuer à la Commission consultative du secret de la défense nationale un rôle décisionnel et non plus seulement consultatif pour décider de transmettre ou non des documents soumis au secret défense lorsque les magistrats en font la demande.

La révélation des affaires provient de plus en plus de journalistes d'investigation exerçant leur métier dans des médias plus éloignés des sphères d'influence politique et financière que les grands médias traditionnels. Cette évolution devrait conduire les journalistes français à revenir vers un journalisme d'investigation et à délaisser les commentaires souvent stériles sur les moindres déclarations, rumeurs ou sondages d'opinion. Pour que les médias soient un contre-pouvoir réel dans notre régime démocratique, ceux-ci doivent aussi être en mesure d'informer honnêtement les citoyens sans taire des informations dont l'origine sérieuse est établie. Cela suppose évidemment que le principe du secret des sources soit garanti et ne puisse être violé par le pouvoir politique.


Anas Jaballah et El Yamine Soum ont participé à l'ouvrage collectif «La France que nous voulons», formulant 50 propositions pour l'après-2012 (i-éditions, octobre 2011).

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