Billet de blog 19 octobre 2011

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Et si l'on réformait le Sénat?

Puisqu'une réforme constitutionnelle est rendue possible par le basculement à gauche du Sénat, le moment est venu de restaurer ses pouvoirs législatifs et de démocratiser l'élection des sénateurs, proposent William Bourdon, avocat, Gilles Lacan et Laurence Vichnievsky, magistrats.

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Puisqu'une réforme constitutionnelle est rendue possible par le basculement à gauche du Sénat, le moment est venu de restaurer ses pouvoirs législatifs et de démocratiser l'élection des sénateurs, proposent William Bourdon, avocat, Gilles Lacan et Laurence Vichnievsky, magistrats.

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Pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, le Sénat a une majorité de gauche. Ceux qui pensent que l'alternance est un élément constitutif de la démocratie ne pourront que s'en réjouir. Mais l'événement a sans doute un autre mérite: permettre à tous, notamment aux gens de gauche, qui nourrissaient une méfiance légitime à l'égard de l'institution, de réfléchir sans a priori sur ce qu'a été le rôle du Sénat dans la République et sur ce qu'il pourrait être. Et c'est le troisième mérite de ce basculement, la gauche peut désormais envisager une vraie réforme constitutionnelle si elle gagne en 2012: le «verrou» du Sénat a disparu.

Nous avons vécu pendant plus de cinquante ans sur un mauvais compromis: le Sénat était mal élu, en échange de quoi il n'avait pas de pouvoir. Le Sénat était de droite mais il n'a pas empêché la gauche de gouverner, entravant seulement ses ardeurs constitutionnelles; en d'autres occasions, il a même concouru à tempérer, en matière de défense des libertés, les excès de la droite. On peut toutefois rêver d'un bicamérisme plus équilibré, d'un destin plus ambitieux pour la seconde chambre du Parlement.

Il faut pour cela revoir à la hausse les deux termes de ce compromis historique: l'élection des sénateurs doit être démocratisée, les pouvoirs du Sénat en matière législative doivent être restaurés.

L'idée qu'une chambre représente le peuple dans son ensemble, tandis que l'autre représente les collectivités locales, classique du bicamérisme, ne doit pas être abandonnée. Mais du fait du grand morcellement des communes en France, le Sénat sur-représente les campagnes au détriment des villes; du fait de son élection au suffrage indirect, il apparaît plus comme une émanation des notables et des appareils politiques, que comme l'expression de la volonté populaire. Bref, son mode d'élection, hérité de la IIIe République, convenait sans doute à la France rurale du XIXe siècle; il constitue aujourd'hui une «anomalie» démocratique, selon la formule de Lionel Jospin.

La première réforme devrait donc consister à faire élire directement les sénateurs par les citoyens, au scrutin de liste proportionnel par région. Ce système présenterait au moins trois avantages: la représentativité d'abord, chaque parti d'importance nationale étant assuré d'être représenté au sein du Parlement, la parité ensuite, pénalisée en France par le scrutin uninominal, l'affirmation enfin des régions comme entités territoriales majeures, concourant en tant que telles à la représentation nationale.

Le dernier avantage de cette réforme est que, répondant aux revendications proportionnalistes des partis petits et moyens, elle contribuerait à déminer le difficile problème du choix du scrutin pour l'élection des députés. Les différents types de scrutin à mettre en œuvre pour l'élection des deux assemblées doivent être combinés, en vue de tirer parti des avantages respectifs de chacun d'eux: pour l'Assemblée nationale, seule chambre devant laquelle est mise en jeu la responsabilité du gouvernement, un scrutin à dominante majoritaire garantissant la stabilité politique, pour le Sénat, chambre à vocation principalement législative, un scrutin proportionnel assurant une représentation fidèle de l'électorat.

La dose de proportionnelle à introduire pour l'élection des députés pourrait ainsi concerner une centaine d'entre eux, élus sur une liste nationale, tandis que les autres resteraient élus au scrutin majoritaire. Un scrutin «binominal» majoritaire de circonscription, comme l'a suggéré Françoise Gaspard, adossé à un regroupement des circonscriptions législatives en deux cents à deux cent cinquante nouvelles circonscriptions élisant chacune un ticket de deux députés, garantirait par ailleurs une parité parfaite.

Quel que soit, en définitive, le système retenu pour l'élection des députés, la démocratisation du mode d'élection des sénateurs n'aurait de sens que si elle allait de pair avec un renforcement des pouvoirs du Sénat. On sait qu'en application de l'article 45 de la Constitution, le gouvernement peut décider qu'en cas de désaccord entre les deux assemblées, l'Assemblée nationale statue seule en dernier ressort. A l'exception des lois constitutionnelles et des lois organiques relatives au Sénat, pour lesquelles son consentement est requis, celui-ci n'exerce plus en fait qu'un pouvoir législatif consultatif, une sorte de magistrature d'influence.

Le gouvernement dispose ainsi, par l'intermédiaire de la majorité qui le soutient à l'Assemblée, de la réalité du pouvoir législatif: moyennant quelques arbitrages à la marge, il contrôle de bout en bout le processus d'élaboration et d'adoption des lois. La séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif revêt en France, comme dans un certain nombre de régimes parlementaires, un caractère largement formel. L'instauration du quinquennat et l'inversion du calendrier (entre élection présidentielle et élections législatives) n'ont fait qu'accentuer cette dérive. Beaucoup s'en satisfont, à gauche comme à droite, surtout lorsqu'ils sont au pouvoir, au nom de l'efficacité. Il n'est pas sûr que la démocratie y trouve son compte.

Le renforcement des prérogatives du Sénat, qui résulterait d'une modification de l'article 45 de la Constitution, permettrait de rééquilibrer globalement les relations entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, en obligeant le gouvernement à négocier le vote des lois avec la représentation nationale. Paradoxalement, l'Assemblée y gagnerait en autorité. La puissance recouvrée du Parlement dans sa fonction législative, à l'instar de ce qui existe aux Etats-Unis, constituerait un réel contrepoids au pouvoir devenu excessif de l'exécutif, si l'on convient qu'il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.

Plusieurs raisons militent pour placer le nouveau Sénat, à la légitimité démocratique restaurée, au cœur de cette réforme: sa représentation plus fidèle de l'opinion, propice aux majorités d'idées, son renouvellement par moitié tous les trois ans, qui amortit les effets de balancier, la non coïncidence de ses dates de renouvellement avec celles des élections présidentielle et législatives, qui le dissocie du processus de formation du gouvernement. Il y a, surtout, la double impossibilité pour le Sénat de censurer le gouvernement et pour celui-ci (ou pour le président de la République) de le dissoudre, qui conditionne un exercice effectif de la séparation des pouvoirs.

Une révision de la Constitution démocratisant l'élection du Sénat et lui restituant sa pleine capacité législative –sauf en matière de lois de finances pour garantir la continuité de l'action de l'Etat– constituerait une réforme majeure de nos institutions, à la différence des multiples projets de «renforcement» des pouvoirs du Parlement qui, depuis 1958, n'ont jamais abouti à remettre en cause l'hégémonie structurelle du pouvoir exécutif. La nouvelle majorité au Sénat la rend désormais possible.

William Bourdon, avocat

Gilles Lacan, magistrat

Laurence Vichnievsky, magistrate

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