Billet de blog 20 juillet 2012

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Foie gras, mensonges et vidéo

Depuis le 1er juillet, la fabrication et la vente de foie gras sont interdites en Californie. Une loi contestée en France qui, ne se conformant pas au droit européen interdisant le gavage, est « le seul pays à [avoir] érigé la suralimentation forcée des palmipèdes en patrimoine culturel national », dénoncent Brigitte Gothière, Johanne Mielcarek et Estiva Reus, de l'association  L214- Ethique & Animaux.

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Depuis le 1er juillet, la fabrication et la vente de foie gras sont interdites en Californie. Une loi contestée en France qui, ne se conformant pas au droit européen interdisant le gavage, est « le seul pays à [avoir] érigé la suralimentation forcée des palmipèdes en patrimoine culturel national », dénoncent Brigitte Gothière, Johanne Mielcarek et Estiva Reus, de l'association  L214- Ethique & Animaux.


Après l'entrée en vigueur de l'interdiction de la fabrication et de la vente de foie gras en Californie le 1er juillet dernier, les professionnels français se mobilisent, avec l'appui du gouvernement, pour contrer « le préjudice d'image » occasionné par la décision californienne. La contre-attaque française, orchestrée par le Comité interprofessionnel du foie gras (Cifog), illustre la stratégie conjointe du ministère de l'Agriculture et des professionnels du foie gras pour contrer la science vétérinaire, apaiser la conscience du consommateur et contourner les réglementations internationales. Une mécanique bien huilée que l'exemple californien ne fait que réactiver.

1998: un rapport vétérinaire accablant pour le foie gras

Des scientifiques interviennent en amont de l’élaboration des réglementations européennes de protection des animaux. Ils sont chargés de cerner les besoins des animaux, ce qui est pour eux source de maladies, de stress ou de blessures. C'est dans ce cadre qu'en 1998 la Commission européenne publie un rapport sur la production de foie gras.
Rédigé par une douzaine d’experts internationaux, le rapport expose les atteintes à la santé des oies et des canards imputables au gavage : risque de lésions de l’œsophage ou d’éclatement du jabot, défaillance du foie, stress thermique, diarrhées, insuffisance respiratoire… Il établit que, chez les canards gavés, la stéatose hépatique provoque six à vingt fois plus de morts que chez des oiseaux non gavés. Parce que le fonctionnement du foie est sérieusement altéré, « le niveau de stéatose doit être considéré comme pathologique », conclut le rapport.
Conséquemment, la Recommandation européenne du 22 juin 1999 stipule: « les méthodes d'alimentation […] qui sont source de lésions, d'angoisse ou de maladie pour les canards […] ne doivent pas être autorisées ». Les pays producteurs bénéficient cependant d'un sursis, à condition d'engager des recherches pour remplacer le gavage par d'autres méthodes d'engraissement.
Ainsi, alors que la contestation mondiale du gavage s’amplifie, qu’un nombre croissant de pays interdisent la production de foie gras, l'évolution de la réglementation européenne menace la production française. La puissante industrie du foie gras organise alors une brillante riposte.

Produire des travaux scientifiques pro-gavage

En réaction, le Cifog impulse et cofinance des recherches menées à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) qui aboutissent à une conclusion spectaculaire: aucun élément scientifique n'indique que le gavage est source de mal-être animal !
Dans sa contre-expertise intitulée L'Inra au secours du foie gras, Antoine Comiti, le président de notre association, a révélé l’énormité des biais méthodologiques et des données passées sous silence qui ont permis de produire ce résultat, à commencer par la discrète omission de la surmortalité des oiseaux soumis au gavage.
L’industrie du foie gras peut désormais mettre en avant l’existence d’avis d’experts en sa faveur. Qui prendra le temps de vérifier ce que vaut cette expertise avant d’en colporter les résultats à son tour ? Mieux: les experts en innocuité du gavage assurent eux-mêmes le service après-vente de leurs travaux. Jacques Servière, directeur de recherche retraité de l'Inra, et Daniel Guémené, chercheur, multiplent les réunions avec l'interprofession, les tribunes pro-foie gras dans les médias et les voyages à Chicago et en Californie pour y défendre – difficilement – le foie gras face aux perspectives d'interdiction.

Consolider les appuis politiques

Inquiet des recommandations européennes, le Cifog fait valoir en 2004 « la nécessité de prévoir une reconnaissance officielle du foie gras ». Le ministère de l'agriculture s’exécute : « […] des réflexions vont être menées pour préserver la pratique du gavage ».
Parallèlement, le Cifog fait appel à l’agence de lobbying ComPublics pour créer Le Club Vive le Foie Gras  auquel émargent bientôt plus de cent parlementaires. Lors de la discussion de la loi d'orientation agricole de 2005, un amendement fait son apparition: « le foie gras fait partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé en France. On entend par foie gras le foie d'un canard ou d'une oie spécialement engraissé par gavage ». La France devient ainsi le seul pays à ériger la suralimentation forcée des palmipèdes en patrimoine culturel national (voir ici et ici), bénéficiant d’une protection légale.
Le bouclier politique franco-français est en place. Il ne faillira jamais à sa tâche. C’est ainsi qu’en France le gavage continue à être pratiqué en majorité sur des canards immobilisés en cages individuelles, bien que ces cages soient illégales dans l’Union européenne. En 2011, le gouvernement français sort le grand jeu pour faire annuler le rejet du foie gras au salon de l’agroalimentaire Anuga de Cologne: courrier indigné à la ministre allemande de l’Agriculture, convocation de l’ambassadeur d’Allemagne à Bercy, boycott du salon par le ministre de l’Agriculture d’alors, Bruno Le Maire…
Rebelote californienne: la filière du foie gras vient de se voir proposer par Guillaume Garot, ministre délégué à l'agroalimentaire, « trois grands axes d'actions pour promouvoir l'excellence des productions françaises de foie gras dans le monde ». Le Cifog se voit donc assuré que son infiltration au sein du monde politique est suffisamment profonde pour n'avoir à craindre ni les changements de majorité ni la pression des défenseurs des animaux.

Faire croire aux canards heureux

La filière du foie gras contrôle de très près l’image du produit et maintient sciemment une épaisse opacité autour du gavage. Paillettes et champagne. Les publicités vantent le produit festif en évitant soigneusement d’évoquer ses conditions de production. Aux journalistes chargés de composer un sujet « foie gras » pour un journal télévisé, on montre typiquement des oiseaux en plein air (phase de croissance avant la période de gavage). Tout est fait pour maintenir une distance entre le consommateur et les 34 millions de canards gavés chaque année en France (dont plus de 75 % en cages de batterie) et dont les images circulent peu. Une enquête effectuée par notre association dans des ateliers de gavage de la société Euralis (leader français et mondial de la production de foie gras) lui a valu de multiples mises en demeure et une plainte pour cesser de faire circuler sur Internet les images, peu reluisantes, collectées à cette occasion (affaire juridique en cours).

© L214foiegrasde


On assiste aussi à une révision du vocabulaire technique pour les éleveurs. Les oiseaux ne sont plus gavés à la pompe hydraulique : désormais ils « reçoivent une alimentation adaptée ». Les canards ne sont plus enfermés en cages de batterie: ils sont « installés dans des logements individuels »
Ainsi, les consommateurs jouissent d'autant plus facilement d'un produit réputé exquis que les scientifiques, les politiques et les publicitaires les aident à oublier la sordide réalité du gavage pour se focaliser sur une communion sociale valorisante autour d'un produit dont l'image est faite de luxe, de fête et de célébration de la gastronomie nationale. Tant que les consommateurs souhaiteront ignorer les réalités de cette production autant que les professionnels tiennent à la dissimuler, il n'y pas de raison de douter de la pérennité de cette bonne entente.
Les curieux pourront découvrir une enquête filmée dans de nombreux élevages, fermes à canetons (couvoirs), abattoirs à canards du Gers et des Landes, et dans des élevages produisant du foie gras Label Rouge et I.G.P “ Canard à foie gras du Sud-Ouest ”. Il s'agit de l'investigation la plus documentée sur les réalités de la production française de foie gras.

© Antonin Chiswick

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