A travers l'exemple du sucre dans les yaourts, Alain Dolium, responsable du développement et de l'innovation économique au Modem, déplore le «mépris historique» dans lequel sont placés les consommateurs d'outre-mer.
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Engagés dans une course aux papilles, et donc au porte-monnaie, les industriels sacrifient parfois la santé publique en ajoutant sucre, gras et sel en doses déraisonnables. L'affichage politique pourrait vous faire croire que le problème est pris en main, c'est tout le contraire qui est constaté en outre-mer. Savez vous qu'un yaourt Yoplait non sucré a 2,7 fois plus de sucre en Guadeloupe qu'à Paris? N'y voyez pas seulement un problème d'alimentation, le mal est bien plus profond.
Tout d'abord, le client «ultramarin» n'a pas le choix. La fabrication locale sous licence et la vente sont monopolisées par un petit nombre de rentiers conservateurs. Que la libre concurrence n'ait absolument pas cours en outre-mer est déjà un sérieux problème, mais que ces monopoles soient la directe continuation du pouvoir des maîtres sur leurs esclaves n'aide en rien à le régler et explique le manque de volonté constaté.
En creusant un peu plus, demandons-nous pourquoi l'on propose à cette clientèle captive des produits beaucoup plus gras et sucrés qu'en métropole. Le demande-t-elle? Non. Se détournerait-elle si on lui proposait les mêmes produits qu'en métropole? Non, le monopole des vendeurs l'en empêcherait. Si les produits sont différents, c'est que ceux qui monopolisent l'offre sont convaincus que leur clientèle est différente et qu'elle souhaite un produit différent. Ces mêmes rentiers conservateurs sont aussi persuadés que cette clientèle différente n'est pas capable d'arbitrer entre plaisir du goût et nutrition raisonnée, qu'il n'est même pas souhaitable de lui laisser le choix. Qu'une entreprise se méprenne parfois sur les envies de ses clients, quoi de plus habituel? Sauf que, lorsque vous donnez la parole à ces quelques familles, vous comprenez immédiatement qu'il n'y aucune méprise, il n'y a que du mépris. Les rentiers conservateurs projettent sur leurs clients les mêmes stéréotypes que leurs ancêtres projetaient sur leurs esclaves. Le sucre relève le goût mais il révèle aussi l'histoire.
Le pouvoir politique actuel n'est pas responsable du lourd contexte historique. Mais il responsable et coupable de laisser continuer l'emprise de quelques familles sur toute une économie, sur toute une population. Pour s'assurer un appui politique local, les dirigeants politiques nationaux oublient tout, pardonnent tout. Si ces quelques familles projettent leurs stéréotypes sur leurs clients captifs, le pouvoir politique projette son manque d'ambition sur ces territoires.
Ces «ultramarins» ne devraient pas bénéficier de la même exigence de santé publique que les «métropolitains»? Ces territoires lointains ne mériteraient pas de justice sociale? Iles paradisiaques pour les uns, damnation pour les autres!
Les «ultramarins» aimeraient n'avoir à régler que de «simples» problèmes de santé publique, ne s'occuper que du sucre de leurs sodas. Ils aimeraient n'avoir à se battre que pour leur pouvoir d'achat, que pour donner un peu de raison à un marché trop libre comme en métropole. Mais la décomposition avancée du système économique, social et politique les place dans une situation intenable. Endurants et patients, les «ultramarins» ont une soif d'égalité, une soif de république à la hauteur du défi. Ils ne réclament que justice. Nous devons y répondre par des actions concrètes dans les domaines économiques, politiques et sociaux. Nous devons nous attaquer aux problèmes de fond sans tabou. Nos valeurs républicaines ne peuvent se targuer d'être universelles si nous ne sommes même pas capables de les appliquer hors de France continentale. La justice sociale doit être imposée.