Haoues Seniguer, chercheur au Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Iep/Lyon2), s'interroge sur les motivations du récent discours du Roi du Maroc, Mohammed VI, prononcé le 10 mars 2011: signe d'une conscience politique renouvelée ou simple diversion stratégique?
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Le discours du Roi Mohammed VI, prononcé le 9 mars dernier, était très attendu par les Marocains et les observateurs politiques. Celles et ceux qui attendaient des annonces pleinement novatrices, en rupture avec l'ordre politique institué et les pratiques du passé, seront certainement déçus. C'est pourquoi, l'annonce «d'une réforme institutionnelle globale» promet certainement plus qu'elle ne tiendra. La mise en perspective du discours royal traduit moins une volonté de refonte du système de répartition des pouvoirs qu'une mystification jouant plus d'illusions sémantiques et de réformes périphériques afin de désamorcer une éventuelle montée en puissance du mécontentement populaire. Clairement, ce discours est tout sauf révolutionnaire...
Dès les premières phrases, le Roi noue, comme il en l'habitude, une relation charnelle et affective avec le peuple, dans une structure dialogique à deux termes: «je» et «toi» en vue d'asseoir cette image d'Epinal du Roi proche de ses sujets. Dans la suite du discours, primera, en revanche, le recours à un «nous» qui, tant dans le contenu que dans la gestuelle crispée, traduira, au fond, une espèce de désincarnation ou distance par rapport aux révoltes secouant le monde arabe. Le monarque est apparu clairement comme étranger à ce souffle de révoltes et de contestations qui touche les pays voisins. Il a souhaité, par-dessus tout, ne pas donner l'impression de céder à quelconque peur panique que ce soit.
En effet, le Roi a voulu montrer par ce discours qu'il demeure la pierre angulaire du jeu politique en se réclamant de réformes qu'il rattache volontairement à une périodicité qui remonte bien avant les révoltes du monde arabe. Ceci afin d'établir d'une part la spécificité marocaine inhérente à cette tradition, réelle ou supposée, de consensus, et de prouver d'autre part que la pression des événements extérieurs ne dicte absolument pas sa conduite politique. Comme si le pays évoluait selon une temporalité différente.
D'où la référence datée, d'un côté, à la remise d'un rapport issu de la commission consultative de la régionalisation du 3 janvier 2010 dont il aurait tenu compte et d'un autre côté, au discours du Trône du 20 août 2010. Mohammed VI a de la sorte envoyé un double signal: à l'interne, en montrant aux représentants de la société civile qu'il est en même temps à l'écoute des revendications et seul maître à bord et, à l'externe, en rassurant les partenaires étrangers quant à la singularité marocaine d'un dialogue supposément constant et constructif entre le Roi et ses sujets.
Par ailleurs, Mohammed VI, en rappelant en préambule de «la réforme constitutionnelle globale» annoncée, «la sacralité des constantes qui font l'objet d'une unanimité nationale, à savoir l'Islam en tant que religion de l'Etat (...) ou encore du régime monarchique etc.», cherche à fixer les lignes rouges qui mettent hors de portée de toute réforme constitutionnelle potentielle, la centralité qu'il occupe à la fois dans les champs politique et religieux en refusant par ailleurs explicitement les options laïques donnant sur ce point, des gages aux islamistes.
Aussi, qu'on ne s'y trompe pas. Nous ne sommes pas encore arrivés au stade de la monarchie parlementaire. Ce serait bien prématuré. Il y a une espèce de mirage constitutionnel qui est entretenu à dessein. L'annonce de la nomination d'un premier ministre issu du parti politique arrivé en tête des élections n'est pas foncièrement nouvelle. En pratique, elle ne changera pas grand-chose. L'actuel Premier ministre, Abbas Al Fassi, est issu du parti de l'Istiqlal arrivé justement en tête des élections législatives de 2007.
En outre, il est de notoriété publique que «la scissiparité» du champ politique marocain (33 partis étaient en lice en 2007) empêche, à chaque élection, l'émergence d'un parti majoritaire et donc, l'ébauche d'un gouvernement cohérent avec des moyens institutionnels solides et renforcés pour mener à bien des politiques publiques autonomes. Par ailleurs, pas un mot n'a été prononcé, ni au sujet du chômage endémique des jeunes ni à la corruption systémique que nourrit bon gré, mal gré, la monarchie. Le Roi a préféré, a contrario, parler de «moralisation de la vie publique.»
Enfin, autre point encore plus révélateur de l'immobilisme institutionnel de la monarchie et sa «transcendance»: il demeure enfin dans l'impensé la définition exacte du périmètre d'intervention du Roi dont les pouvoirs sont tellement étendus qu'ils risquent d'hypothéquer la réalité d'annonces qui demeurent assurément bien en-deçà des attentes.